« Parlons peu mais parlons bien », comment différencier déclaration sans suite et infructuosité ? Aujourd’hui, plus que jamais, savoir distinguer Nord et Sud est cardinal pour ne pas s’embourber en tentant de sortir des sables mouvants d’une consultation frappée par la crise… Candidats qui se désistent, estimatif marché « explosé », et bien d’autres joyeusetés encore attendent l’acheteur.

Précisons d’emblée que, comme toujours en droit, finalement l’usage du mauvais terme n’a que peu d’importance dès lors que le bon régime juridique est appliqué dessus.

Dès lors distinguerons nous en partant du régime du code de la commande publique (CCP), infructuosité et déclaration sans suite pour motif d’intérêt général, sans forcément suivre à l’identique le raisonnement de la Direction des affaires juridiques dans sa fiche technique. Pédagogie first !

Déclaration sans suite

Tout d’abord, la déclaration sans suite est le fait pour l’acheteur de renoncer à mener une consultation jusqu’à son terme.

L’article R2185-1 du CCP indique qu’il peut le décider « à tout moment ».

Bien évidemment, il peut le décider à tout moment de la procédure c’est-à-dire avant que n’existe le contrat : une fois le contrat notifié, l’acheteur doit résilier le marché !

Dans tous les cas, l’acheteur devra informer les éventuels candidats de sa décision et leur en communiquer les motifs (article R2185-1 du CCP) (voir notre article pour plus de précisions). S’il n’a pas de candidats, les motifs figureront dans le compte-rendu de la procédure.

Ce qui signifie que cette faculté n’est pas arbitraire, mais seulement discrétionnaire. En d’autres termes, l’acheteur doit fonder son choix d’abandonner la procédure sur des motifs, légitimes et concrets.

Ces motifs sont de plusieurs ordres, et on peut distinguer deux grandes familles.

Infructuosité

L’article R2122-2 du CCP permet aux acheteurs de passer un nouveau marché sans publicité ni mise en concurrence dans les cas suivants :

  • aucune candidature ou aucune offre dans les délais ;
  • et/ou il n’y a que des candidatures irrecevables ;
  • et/ou il n’y a que des offres inappropriées.

Rappelons que l’offre inappropriée est celle qui est « hors-sujet », qui ne répond pas au besoin : du papier buvard ou à dessin au lieu de papier d’impression ; un véhicule pourvu de rétroviseurs sans bras au lieu d’un véhicule pourvu de rétroviseurs avec bras[1].

Ces cas de figure donnent donc lieu à une conséquence bien précise :

  • je peux relancer mon marché sans publicité ni mise en concurrence, sans modifier substantiellement mes conditions de marché ;
  • ou alors je modifie mes documents de la consultation et je relance une procédure identique.

Ainsi pourrait-on dire qu’il y a ici « infructuosité ».

Cela afin de faire la différence avec tous les autres cas de figure qui entraînent une conséquence juridique bien différente.

Quant à l’autorité compétente, la DAJ indique que :

« La décision de déclarer sans suite pour cause d’infructuosité appartient à la personne compétente pour attribuer le marché public. Pour les collectivités territoriales, il n’est pas nécessaire de consulter préalablement la commission d’appel d’offres pour prendre cette décision. »

Soulignons enfin que le Conseil d’État a jugé qu’une procédure ne peut valablement être déclarée infructueuse qu’en tant qu’elle a été organisée dans des conditions de nature à en assurer normalement la réussite, notamment par la fixation d’un prix estimatif réaliste[2]. Une erreur de bonne ou mauvaise foi dans l’estimation du besoin fait donc obstacle à la déclaration d’infructuosité…

Déclaration sans suite pour motif d’intérêt général

Hors déclaration sans suite pour cause d’infructuosité, on pourrait alors parler de « simple » déclaration sans suite. Par abus de langage, on pourrait même dire que la déclaration sans suite pour motif autre revient à déclarer sans suite « pour motif d’intérêt général ». La notion de motif d’intérêt général présente dans l’ancien code des marchés publics de 2006 a disparu dans le code de la commande publique en 2019. Néanmoins cette notion plastique permet cet abus, et en définitive, l’intérêt est ailleurs !

L’important est que l’acheteur doit, sinon renoncer à la consultation, alors la relancer dans le cadre d’une procédure identique. À cette occasion cependant, il peut en profiter pour modifier les conditions de marché fût-ce substantiellement.

Ses motifs légitimes pourront être les suivants :

  • il n’y a que des offres irrégulières[3] ;
  • et/ou il n’y a que des offres inacceptables[4] ;
  • et/ou il n’y a que des offres anormalement basses (voir notre infographie), la D.A.J. recommandant de façon pertinente d’assimiler OAB et offre irrégulière bien que le CCP ne le fasse pas expressément lui-même ;

Dans ces cas-là, la relance d’une procédure d’appels d’offres pourra se faire dans le cadre d’une procédure avec négociation (voir le 6° de l’article R2124-3 du CCP), qui permettra via la négociation de lever les irrégularités ou de diminuer le prix si les mêmes offres devaient se représenter.

Également, la DAJ estime que les collectivités territoriales peuvent encore se dispenser de réunir leur CAO.

Enfin, l’acheteur pourra encore déclarer sans suite – mais sans que lui soient ouvertes ces deux dernières facilités – dans le cas où il fait état :

  • d’une insuffisance de concurrence ;
  • de la disparition, du redimensionnement ou de la transformation de son besoin (équipement qui n’a plus d’intérêt, financements escomptés non obtenus, nouvel acheteur partenaire adhérant à un groupement de commandes, etc…) ;
  • d’un aléa de procédure, y compris lorsqu’il est le fait de l’acheteur, car mieux vaut une bonne relance qu’une mauvaise attribution ![5]

Auquel cas, la DAJ ne faisant plus de précision concernant les collectivités, il est dans l’intérêt d’une bonne sécurité juridique de réunir la CAO pour déclarer sans suite, en application de la règle du parallélisme des compétences (« je suis compétent pour attribuer, je suis donc compétent pour ne pas attribuer »).

Dans tous les cas où le motif avancé par l’acheteur pour abandonner la procédure ne serait pas légitime, il commet ainsi une faute susceptible d’engager sa responsabilité. Les candidats qui subiraient un préjudice (frais engagés, perte de chance de contracter avec un tiers, etc…) pourront ainsi lui réclamer une indemnité.

Sinon, l’abandon de procédure ne donne pas lieu, en principe, à une indemnité : il n’en va autrement que lorsque le RC l’a expressément prévu !


[1] CAA Marseille, 11 juillet 2016, n° 15MA01461.

[2] CE, 29 déc. 1997, Préfet de Seine-et-Marne c. OPAC de Meaux, n° 160686.

[3] Sont irrégulières les offres qui ne respectent pas les dispositions du Règlement de la consultation (pièces manquantes ou incomplètes ; variante interdites et néanmoins proposées ; etc…), les stipulations des cahiers des charges, ou encore la législation en vigueur quand bien même elles ne seraient pas rappelées dans les documents dans la consultation.

[4] Sont inacceptables les offres tellement chères que l’acheteur ne peut tout simplement pas les financer, du tout. Attention, rejeter de telles offres requiert donc de (pouvoir) prouver que les crédits budgétaires sont insuffisants, document budgétaire ou comptable à l’appui. V. récemment CAA Bordeaux, 2 juin 2022, n° 20BX03069.

[5] V. par ex. CAA Douai, 28 mai 2015, SELARL Nord Biologie, n° 13DA01259.