Traditionnellement, la doctrine en matière contractuelle considérait que « les tiers sont réputés ne pouvoir s’immiscer dans des rapports contractuels auxquels ils sont étrangers »[1].

Cette volonté était guidée par la volonté de concilier le principe de légalité, auquel est soumise toute action de l’administration, et la préoccupation de stabilité des relations contractuelles[2].

Ce principe a toutefois été clairsemé d’exceptions, telle celle prévue par l’arrêt Martin[3], et la possibilité ouverte aux tiers d’intenter un REP (recours pour excès de pouvoir) contre les actes administratifs dits « détachables », et qui sont préalables à la conclusion du contrat.

Cette logique a par ailleurs été prolongée dans un arrêt « LIC » de 1964[4], avec la possibilité pour les tiers de former un REP contre les actes détachables, et qui sont cette fois-ci relatifs à l’exécution du contrat.

Un demi-siècle plus tard, cette logique a toutefois été mise à mal par l’arrêt « département du Tarn-et-Garonne », qui a ouvert la voie du recours de pleine juridiction à l’ensemble des tiers au contrat.

Ce faisant, maintenir l’existence du recours pour excès de pouvoir n’avait plus de sens, dès lors qu’il est toujours loisible aux tiers de contester ces actes détachables préalables à la conclusion du contrat, dans le cadre du recours de pleine juridiction.

C’est donc dans cette droite lignée que s’inscrit l’arrêt « Société France Manche » du 30 juin 2017.

En effet, dans cet arrêt le juge consacre la possibilité pour tout tiers « susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l’exécution du contrat » d’intenter un recours de pleine juridiction tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat. 

Dans ces conditions, l’arrêt Société France-Manche est pour l’arrêt LIC, ce que l’arrêt Tarn-et-Garonne est, mutadis mutandis, pour l’arrêt Martin, et ferme la voie du REP contre les actes d’exécution détachables.

Les tiers démontrant l’existence d’un intérêt lésé pourront par ailleurs utilement soulever des moyens tirés de ce que :

  • la personne publique contractante était tenue de mettre fin au contrat du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours ;
  • le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution ;
  • l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général ;

Ils ne pourront en revanche soulever des moyens liés aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise.

Il n’est pas à douter de l’impact certain de cet arrêt sur le flux du contentieux contractuel.

 

CE, 30 juin 2017, Sté France Manche et The Channel Tunnel Groupe, n°398445

[1] Traité des contrats, p 1602

[2] V. en ce sens l’analyse faite par le Conseil d’Etat sur l’arrêt Département du Tarn-et-Garonne

[3] CE, 4 août 1905, n° 14220

[4] CE, 24 avril 1964