Peut-on « revenir » sur une transaction, cette dernière met-elle un point final intangible au litige ? À de nombreuses reprises l’an passé, nous vous rappelions jusqu’à l’épuisement l’existence de ce mécanisme contractuel de règlement des litiges, support privilégié de la théorie de l’imprévision dans notre contexte de hausse des prix pénurie des matières premières (voir nos billets : « Crise sanitaire, contexte géopolitique, changement climatique…comment absorber les impacts dans la commande publique ? » ; « Transactions: quel cadre juridique ? » ; « Et si on transigeait ? »).

Une transaction conclue est-elle obligatoire ?

En principe, une transaction règle définitivement le litige et, en droit administratif, n’a pas besoin d’être homologuée pour avoir force obligatoire. Dans le même temps, elle obéit à des conditions de validité strictes qui permettent comme tout contrat d’en obtenir la remise en cause (compétence et capacité des parties, consentement libre et éclairé, concessions réciproques réelles et objet licite).

Mais le principe de loyauté contractuelle veille ! Car il interdit à une partie de se prévaloir de mauvaise foi d’un vice du contrat pour faire obstacle à son application.

C’est ce que nous rappelle la cour administrative d’appel de Marseille dans un arrêt du 9 janvier 2023 où les parties à un marché de travaux s’étaient entendu, après l’étape du décompte général et définitif, pour régler leurs différends dans le cadre d’une transaction administrative.

Lorsqu’une partie à un contrat administratif soumet au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

Jurisprudence Béziers I (CE, Ass., 28 déc. 2009, n° 304802)

En l’espèce, le vice entachant la transaction était le principe d’interdiction des libéralités publiques, puisque la transaction avait pour objet de donner suite aux prétentions de l’entreprise qui réclamait des sommes qu’elle aurait dû faire valoir, à titre de réserves, dans le décompte final.

Cette règle étant d’ordre public, sa méconnaissance caractérisait bien un vice d’une telle gravité que le juge, par exception, est amené à écarter le contrat.

Une libéralité promise est-elle due ?

Restait alors sur le terrain extracontractuel la question de savoir si l’acheteur public, ici, en consentant cette transaction ensuite contestée, et donc en faisant ainsi la fausse promesse d’indemniser l’entreprise, avait pu commettre une faute à l’origine d’un préjudice pécuniaire.

Mais là encore, le juge préserve les deniers publics jugeant que si faute il y a bien, celle-ci n’est pas en lien de causalité avec le préjudice consistant dans le non-paiement de la libéralité promise. Faute d’un tel lien, les conditions de la responsabilité administrative ne sont pas réunies et l’entreprise est renvoyée dans les cordes !

Toujours pas d’estoppel !

Notons encore que la CAA commence par rappeler que le « principe d’estoppel » n’a pas droit de cité en droit (du contentieux) des contrats administratifs. L’estoppel, « qu’èsaquo ? » nous diraient nos lecteurs de la belle Provence. Il s’agit tout simplement d’un principe qui interdit de « retourner sa veste » et changer radicalement d’argumentaire en cours de procédure.

Il n’existe pas, en contentieux contractuel, une règle générale de procédure en vertu de laquelle une partie ne pourrait, après avoir adopté une position claire ou un comportement non ambigu sur sa future conduite à l’égard de l’autre partie, modifier ultérieurement cette position ou ce comportement d’une façon qui affecte les rapports de droit entre les parties et conduise l’autre partie à modifier à son tour sa position ou son comportement.

voir déjà, dans le droit général de la procédure administrative :
CE, 2 juill. 2014, Société Pace-Europe, n° 368590

CAA Marseille, 9 janvier 2023, n° 21MA02813