Dans un arrêt du 17 mars 2025, le Conseil d’Etat a rappelé que, même verbal, l’ordre de service ouvre droit à indemnisation des travaux supplémentaires, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que les CCAG prévoient un certain formalisme pour les ordres de service (écrits, datés, numérotés, auparavant signés, etc.).
Analysons pas à pas la règle de droit.
1) Tout d’abord, « lorsque le titulaire d’un marché public de travaux conclu à prix global et forfaitaire exécute des travaux supplémentaires à la demande, y compris verbale, du maître d’ouvrage ou du maître d’œuvre, il a droit au paiement de ces travaux. »
Le Conseil d’Etat parle ici des marchés conclus à prix global et forfaitaire, tout simplement parce que la question ne se pose pas concernant les prix unitaires : l’entrepreneur sera rémunéré des quantités réellement mises en oeuvre par définition !
Le caractère forfaitaire du prix fait donc en principe obstacle à un paiement « au réel », sauf une exception mise en place par la jurisprudence, à savoir les travaux supplémentaires. Mais cette exception ne recouvre pas n’importe quoi ! Il y a en réalité deux cas de figure à distinguer, et le Conseil d’Etat en évoque justement un dans ce passage : lorsqu’existe un ordre de service.
2) « Ce droit à indemnité existe quand bien même la demande qui lui en a été faite n’a pas pris la forme d’un ordre de service notifié conformément à ce que prévoient en principe les stipulations du cahier des clauses administratives générales ».
En l’espèce, le juge d’appel s’était raccroché aux stipulations du CCAG-Travaux auquel faisait référence le marché pour écarter le droit à indemnités de l’entreprise.
- Le CCAG-Travaux prévoit qu’un ordre de service doit être écrit, notamment.
- Ici, l’ordre de service était verbal.
Ce faisant le juge d’appel a commis une erreur puisque, de jurisprudence constante, le caractère régulier ou pas de l’ordre de service n’a d’incidence que sur l’étendue du droit à indemnité, et non sur son existence-même. En effet, si l’ordre de service est régulier, l’entreprise a droit à une indemnisation intégrale (pertes subies + gains manquées) et sera rémunérée en application – si possible – des prix prévus au contrat, sur le fondement de la responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage.
En revanche, si l’ordre de service est irrégulier, comme c’est le cas ici, l’entreprise ne perd pas tout droit à indemnité puisqu’elle est tout de même sujette, par ailleurs, à une obligation d’exécution conforme aux OS : elle ne peut, si elle les estime irréguliers, que présenter des observations et les contester en justice, sans pouvoir refuser de les exécuter pour autant.
Dans le cas d’un OS irrégulier, son indemnisation sera néanmoins limitée aux seules dépenses utiles, sur le fondement de l’enrichissement sans cause.
On notera que le Conseil d’Etat ne rappelle pas ces règles. Mais il serait malheureux de les perdre de vue !
(Pour aller plus loin sur l’indemnisation en marchés à prix forfaitaire : revoir notre article).
3) En revanche, lorsque le titulaire du marché exécute de sa propre initiative des travaux supplémentaires, il n’a droit au paiement de ces travaux que s’ils étaient indispensables à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art.
Pour boucler la boucle, le juge de cassation remet le juge d’appel sur les bons rails : oui il est un cas où les travaux supplémentaires ne seront pas indemnisés, sauf à présenter un caractère « indispensable à la réalisation de l’ouvrage dans les règles de l’art ». Il s’agit du cas où l’entreprise agit en l’absence totale d’OS, sur sa propre initiative…
On prend les mêmes, on évite de tout mélanger, et on recommence ! L’affaire est renvoyée à la CAA de Marseille pour être rejugée sur ces points.
CE, 17 mars 2025, Société Eiffage Construction Sud-Est, req. n°491682