Partialité de mon AMO… puis-je résilier ?
Que ses doutes soient fondés ou non, l’acheteur s’est peut-être déjà retrouvé confronté au cas de figure où, s’étant offert les services d’un Assistant Maîtrise d’Ouvrage (AMO), l’attitude, les initiatives ou les conclusions de celui-ci dans l’analyse des offres – ou les négociations qui s’en suivent – éveillent sa méfiance.
La cour administrative d’appel de Bordeaux a récemment eu à connaître de cette situation dont personne ne souhaite connaître.
Dans l’affaire en cause, il n’y avait pas à proprement parler d’AMO mais un contrôleur technique. Cependant le panel de ses missions impliquait son intervention au stade, déjà, de l’analyse des offres de constructeurs, ce pourquoi nous nous autorisons l’analogie.
Précisément, sa mission comptait « l’assistance technique à l’analyse des propositions des constructeurs, l’analyse et commentaire du plan qualité transmis par les constructeurs, la validation des moyens techniques du constructeur et de ses principaux sous-traitants, et la vérification de la cohérence des poids et descente de charges annoncées ».
Or, dans le cadre de l’analyse, son accompagnement n’avait pas satisfait l’acheteur sur plusieurs points. Il lui était notamment reproché d’avoir fait preuve de partialité :
- en adressant des critiques à un des candidats sur des points techniques sans adresser les mêmes à son concurrent, qui présentait pourtant les mêmes faiblesses ;
- en commettant des « erreurs » ou « imprécisions » dans son analyse technique, systématiquement en défaveur du premier ;
- en ayant recours à des affirmations exagérées et à « de nombreuses suppositions sans démonstration » ;
- en procédant à une visite « essentiellement à charge », c’est-à-dire sans appuyer de points positifs, de l’entreprise supposément défavorisée.
À un point tel que l’acheteur a même fini par appeler à la rescousse un expert opérationnel afin de « contrôler le contrôleur » …
Il est intéressant de remarquer que la cour procède en deux temps avant de valider la résiliation dans l’intérêt général qui en a découlé.
Dans un premier temps, elle réfute l’argumentation de l’acheteur selon laquelle le contrôleur technique aurait été ici dénué d’impartialité.
Elle juge que les éléments précédents ne sont pas « en eux-mêmes » de nature à faire naître un tel doute, dans la mesure où les engagements du contrôleur impliquaient qu’il accomplisse tout acte et formule tout commentaire qu’il jugerait nécessaire, sous sa responsabilité. À demi-mot, la cour semble signifier en termes simples que le contrôleur technique se devait d’être l’empêcheur de tourner en rond et que ce qui apparaissait comme de l’ « acharnement » sur une seule et même entreprise pouvait tout aussi bien n’être que le fruit d’un excès de zèle mal réparti.
Elle s’appuie également sur le fait que rien ne rapportait la preuve d’un intérêt du contrôleur à favoriser tel ou tel candidat, et sur le fait que l’acheteur « conservait son pouvoir décisionnel », en d’autres termes pouvaient se désolidariser de l’analyse proposée par le contrôleur. (Sur la répartition de ce pouvoir décisionnel au sein des collectivités territoriales, voir notre récente mise au point).
La résiliation n’est donc pas fondée pour ce motif.
Dans un second temps, toutefois, la cour prend le contrepied en estimant que de la « perte de confiance » entre l’acheteur et le contrôleur technique, qui découle de cette situation, justifie en revanche la résiliation pour motif d’intérêt général prononcée.
Il faut souligner que comptent pour beaucoup dans l’appréciation de la cour les échanges de courriers en l’espèce, dans lesquels l’acheteur manifestait sa perte de confiance et demandait des explications au traitement différencié des entreprises, ainsi que l’expertise demandée par lui et ayant pour but affiché de vérifier l’intégrité de son contrôleur technique.
Dans ces conditions la cour constate « une profonde détérioration des relations contractuelles, née d’une perte de confiance entre les parties faisant obstacle à la poursuite du contrat, et (ayant) justifié par suite la résiliation unilatérale, pour ce motif, du marché en cause ».
La perte de confiance peut donc constituer un motif d’intérêt général valable pour fonder une résiliation !
CAA Bordeaux, 11 octobre 2022, n° 21BX02814