Le petit point sur… « le désistement de l’attributaire »

Le petit point sur… « le désistement de l’attributaire »

Acheteur, acheteuses, vous êtes-vous déjà retrouvé face à une entreprise qui avait remporté la palme d’or de la tête du classement et qui, au moment de signer votre marché, vous pose un lapin ?

Que de temps (et d’énergie) perdu(s) !

Avez-vous ressenti un profond sentiment d’injustice et d’impuissance ?

Bonne nouvelle, ce sentiment est légitime et la jurisprudence administrative et judiciaire vous garantit des droits.

La jurisprudence administrative et l’engagement unilatéral

De jurisprudence constante et ancienne, le Conseil d’État considère que le seul dépôt d’une offre par l’entreprise suffit à caractériser un engagement unilatéral de sa part. Que l’acte d’engagement soit signé ou non, cela ne change rien.

Cet engagement crée une obligation à sa charge : celle de maintenir cette offre pendant le délai de validité prévu au RC (ou pendant un délai raisonnable sinon).

Or, en droit français, la méconnaissance d’une obligation préexistante est une faute.

Et une faute qui induit un préjudice oblige le fautif à réparation envers la victime.

(Mon D*eu, je suis une victime ?!!).

L’acheteur public qui ne peut signer son marché à cause du désistement de l’entreprise pourra donc récupérer des dommages-intérêts, au besoin via l’émission d’un titre de recette (voir pour une illustration : CAA de LYON, 4ème chambre – formation à 3, 25/02/2016, 14LY03280, Inédit au recueil Lebon).

Si le titre de recette est contesté ou s’il se tourne de lui-même vers le juge, il devra toutefois prouver

  • Que l’entreprise a refusé de signer le marché alors qu’elle était en capacité de le faire et que le marché lui a été attribué dans le délai de validité des offres (« the faute causale ») ;
  • Que le défaut de signature a retardé la satisfaction de son besoin et que ce retard lui a causé un dommage ET/OU que le défaut de signature a nécessité la conclusion d’un contrat plus cher (« the préjudice »).

L’acheteur qui souhaite voir son « préjudice d’attente » indemnisé ne pourra cependant pas invoquer les pénalités de retard figurant dans un contrat jamais signé… Les pénalités de retard ont pour principal intérêt de dispenser l’acheteur de prouver son préjudice, mais, pas de panique, à défaut de pouvoir s’appuyer sur des pénalités forfaitaires il est toujours possible d’apporter la preuve d’un préjudice par tout moyen !

La jurisprudence judiciaire, l’interdiction de rétractation et la rupture abusive des pourparlers

Côté juge judiciaire, l’acheteur privé n’est pas en reste. Eh oui ! Les règles générales des contrats civils prévoient aussi un mécanisme de sauvegarde des intérêts de l’acheteur.

Le point de départ est la liberté contractuelle : si l’entreprise est libre de contracter, elle est aussi libre de ne pas contracter. Aussi, la rupture des pourparlers est en principe libre. Cependant, elle devient une source de responsabilité lorsque cette rupture est abusive. Notamment quand les pourparlers sont suffisamment avancés et que l’auteur de la rupture prend une décision soudaine et sans motif valable.

De plus, l’article 1116 du code civil fonde l’interdiction de la rétractation d’une offre avant expiration de son délai de validité. Il précise que l’offre rétractée en violation de son interdiction fait bien obstacle à la formation du contrat… mais engage la responsabilité extracontractuelle de son auteur !

Autrement dit, oblige l’entreprise qui se dédit à réparation envers l’acheteur malheureux.

L’acheteur privé qui ne dispose pas de prérogatives de puissance publique devra cependant se tourner vers le juge, ou éventuellement se rapprocher de la « méchante entreprise » pour transiger afin de gagner du temps.

Devant le juge, il devra rapporter les mêmes preuves que son homologue public :

  • Une faute causale tenant au refus de signer et à l’absence d’obstacle à la signature ;
  • Un préjudice tenant au retard ou au surcoût du contrat de substitution.

Dans le cadre d’une transaction, il devra surtout jouer une bonne partie de poker.