Par une décision en date du 1er juin 2023, le Conseil d’Etat nous enseigne qu’un acheteur public ne peut rectifier de lui-même l’erreur d’un candidat qui aurait transmis son dépôt sur une mauvaise consultation.

En fin d’année dernière, nous vous décortiquions feu l’ordonnance rendue par le tribunal administratif d’Amiens en date du 8 novembre 2022 n°2203116 (voir notre article) relative au dépôt de pli par un candidat dans un mauvais « tiroir numérique ».

Le requérant à l’origine de l’affaire était une entreprise qui avait malencontreusement déposé son pli dans le guichet dédié à une autre consultation qui expirait le même jour.

Le juge avait estimé que l’acheteur avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en ne rapatriant pas ce pli dans la bonne consultation et, par suite, en n’en tenant pas compte.

Le juge considérait en effet que l’acheteur aurait aisément pu rectifier cette erreur de dépôt puisque les dates et heures limites de réception des offres des deux consultations coïncidaient, qu’il n’y avait aucun doute sur le rattachement du dépôt à la consultation concernée et qu’aucune contrainte particulière ne pesait sur ce dernier.

Une interprétation qui paraissait pragmatique et qui, pourtant, n’a pas obtenu la faveur des sages du Palais Royal.

Le Conseil d’Etat précise d’abord que « aucune disposition ni aucun principe n’impose au pouvoir adjudicateur d’informer un candidat que son offre a été déposée dans le cadre d’une autre consultation que celle à laquelle il voulait postuler ».

Ensuite et surtout que l’acheteur « ne peut rectifier de lui-même l’erreur de dépôt ainsi commise, sauf dans l’hypothèse où il serait établi que cette erreur résulterait d’un dysfonctionnement de la plateforme de l’acheteur public ».

Une approche qui semble particulièrement sévère vis-à-vis des entreprises et suscite quelques interrogations.

Pas d’obligation de repêchage…  mais une possibilité ?

Il est précisé que l’acheteur « ne peut rectifier de lui-même l’erreur de dépôt ». L’acheteur ne saurait donc, de sa propre initiative et en toute autonomie, procéder à la correction de l’erreur. Dont acte.

Mais l’acheteur pourrait-il, s’il le souhaite, inviter l’entreprise à rectifier son erreur via un système de régularisation ? Rien n’est moins sûr à la lecture de la décision.

Quid du pli déposé sur un mauvais lot ?

Cette interprétation doit-elle être transposée au cas où une entreprise aurait, certes déposé sur la bonne consultation, mais sur le mauvais lot ?

Dans l’affirmative, les conséquences seraient particulièrement rudes pour les opérateurs économiques. Car si les erreurs de dépôts sur une mauvaise consultation demeurent plutôt rares en pratique, les dépôts sur un mauvais lot sont quant à eux particulièrement fréquents…

Cette décision semble s’inscrire à contre-courant d’une mouvance réglementaire et jurisprudentielle plutôt favorable aux candidats distraits. Songeons par exemple à la possibilité de régulariser le dépôt d’un candidat transmis au format papier, au mépris de l’obligation de dématérialisation[1] ou encore à l’interprétation libérale retenue par le juge de la règle du « second dépôt annulant et remplaçant le précédent »[2] (voir notre article).

Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 1 juin 2023, 469127


[1] Article R. 2144-2 du Code de la commande publique.

[2] Article R. 2151-6 du Code de la commande publique.