Les marchés publics et privés de travaux partagent nombre de caractéristiques. Mais les modalités de réception tacite n’en font pas tout à fait partie. La Cour administrative d’appel de Marseille a rendu un récent arrêt permettant d’en mieux cerner les contours… en droit public !

La réception, au vu des effets drastiques qu’elle emporte (fin des relations contractuelles, décharge totale pour les vices apparents non réservés, point de départ des délais de garantie[1]) est en principe un acte juridique exprès.

En droit privé pourtant, la jurisprudence a créé de toutes pièces l’idée de réception tacite, qui est regardée comme advenue dès lors que le juge repère la simple intention non équivoque du maître d’ouvrage de réception l’ouvrage. En somme, deux éléments sont nécessaires :

  • prise de possession de l’ouvrage ;
  • paiement de l’intégralité des travaux, sans réserver aucune somme pour d’éventuelles malfaçons notamment.

Chose intéressante pour notre affaire, la Cour de cassation a jugé que l’établissement d’un constat d’huissier révélant d’importantes malfaçons ne fait pas obstacle à l’intervention d’une réception tacite, du moment que les deux éléments précités sont réunis (Cass. 3ème civ., 24 novembre 2016, n°15-25.415, Publié).

En droit public, la réception tacite est par principe exclue, sauf dans l’hypothèse de l’article 41.1.3 du CCAG-Travaux. Dans le cas où l’acheteur s’est référé au CCAG-Travaux et n’a pas dérogé à cet article, la réception sera considérée comme acquise lorsque :

  • le titulaire a avisé maître d’ouvrage et maître d’œuvre de la date prévisible d’achèvement des travaux ;
  • le maître d’œuvre n’a pas arrêté de date pour les opérations préalables à la réception (OPR) dans le délai de 20 jours ;
  • le titulaire a informé le maître d’ouvrage de cette carence et ce dernier n’a pas arrêté lui-même de date pour les OPR dans le délai de 30 jours.

Il existe cependant une deuxième hypothèse de réception tacite, qui n’a pas vraiment les faveurs des juges, et qui consiste plus ou moins à rechercher – comme en droit privé – une volonté non équivoque de réceptionner. Le Conseil d’État a reconnu cette possibilité (v. not. CE, 26 mars 2018, n° 406208, Inédit au recueil Lebon).

Mais tout n’est pas aussi simple !

Dans l’arrêt du Conseil d’État, une première réception avec réserves était intervenue, l’ouvrage avait été utilisé à plusieurs reprises et le solde du marché avait été payé sans retenue correspondant aux réserves. C’est donc la levée des réserves qui est intervenue tacitement.

Dans l’arrêt commenté, le juge administratif d’appel marseillais a au contraire rejeté l’existence d’une réception tacite dans l’espèce où une prise de possession avait bien eu lieu et l’ouvrage avait même été mis en service, et où le marché avait été soldé. En effet, le maître d’ouvrage avait fait constaté par voie d’huissier « d’importants désordres d’étanchéité », ce qui implique pour le juge que « les parties ne peuvent être regardées comme ayant eu la commune intention de procéder (…) à une réception tacite ».

Exactement l’inverse de ce que le juge judiciaire suprême a dit pour droit ! Prudence avec la réception tacite donc…

CAA Marseille, 28 novembre 2022, n° 20MA03068


[1] Une réception avec réserves faisant également courir le délai de garantie de parfait achèvement… sauf exceptions : voir notre article.