Le droit au paiement direct protège-t-il l’entreprise principale ? Est-il « obligatoire » pour le sous-traitant bénéficiaire ?
Dans un arrêt du 4 octobre, la Cour d’appel de Paris (juge judiciaire) illustre de façon originale le caractère ambivalent du droit au paiement direct du sous-traitant de 1er rang.
Ainsi qu’elle le rappelle, l’article L.2193-11 du code de la commande publique qui résulte de la loi « sous-traitance » de 1975 prévoit que le sous-traitant direct a droit au paiement direct au-delà d’un certain montant de créance, fixé à 600€ TTC par décret.
Seuls les « Autres marchés » du code échappent à cette règle, tous les autres y étant soumis que l’acheteur soit public ou privé, pouvoir adjudicateur ou entité adjudicatrice.
Le texte de loi prévoit également que le sous-traitant bénéficiaire ne peut légalement renoncer à ce droit. Mais qu’est-ce que cela implique exactement ?
Le sous-traitant peut-il présenter ses demandes de paiement à l’entreprise principale ?
Il est certain que cela signifie que le sous-traitant ne peut pas signer un contrat de sous-traitance ou une déclaration de sous-traitance (DC4) dans laquelle est écrit noir sur blanc qu’il sera payé par l’entreprise principale de travaux.
Cette mention serait de toute façon réputée non écrite. Comprendre : il pourrait tout à fait changer d’avis en cours de route et cette mention n’aurait aucune valeur, ne protégeant en rien le maître d’ouvrage qui l’invoquerait.
Cependant, le droit au paiement direct n’est jamais qu’une facilité de caisse et un simple « droit ». Ce qui signifie que le sous-traitant peut renoncer à son exercice (alors qu’il ne peut renoncer à son bénéfice).
En d’autres termes, le sous-traitant admis au paiement direct peut néanmoins présenter ses demandes de paiement à l’entreprise principale, ce que confirme la Direction des affaires juridiques dans sa fiche technique ! (Pour aller plus loin, voir notre vidéo).
Le sous-traitant peut-il agir contre l’entreprise principale avant d’avoir tenté une action contre le maître d’ouvrage ?
Dans son arrêt du 4 octobre, la CA de Paris énonce une règle très claire : « l’institution du paiement direct du sous-traitant par le maître de l’ouvrage ne fait pas disparaître le contrat de sous-traitance et laisse au sous-traitant la faculté d’agir en paiement contre l’entrepreneur principal sans être contraint d’épuiser auparavant les voies de recours contre le maître de l’ouvrage ».
Position qui restera bien sûr à confirmer par les plus hautes juridictions.
En l’espèce, la société sous-traitance n’ayant pu obtenir le paiement de ses factures avait adressé une mise en demeure de payer à l’entreprise principale, qui à son tour a appelé le maître d’ouvrage en garantie. Il n’est pas difficile d’imaginer dans ces conditions que l’entrepreneur principal s’est retrouvé « entre deux feux », le maître d’ouvrage refusant probablement de payer y compris les prestations principales, et le sous-traitant faisant pression pour obtenir le paiement de ses propres factures. L’entreprise se voyant ainsi réclamer des sommes qu’elle n’avait peut-être pas…
L’entreprise principale est néanmoins admise à former un appel en garantie contre le maître d’ouvrage, mais cet appel en garantie ne sera pas entendu par la CA de Paris : il relèvera de la compétence du juge administratif car fondé sur la qualité de débiteur dans le cadre d’un marché public = un contrat administratif…
Alors que l’action principale exercée par le sous-traitant à l’encontre de l’entreprise relève du juge judiciaire, car concernant des parties à une opération de travaux publics liées par un contrat de droit privé. Mais si le sous-traitant avait agi directement contre le maître d’ouvrage, son action aurait relevé du juge administratif aussi à défaut de contrat de droit privé (et de contrat tout court) entre les deux (Pour aller plus loin, voir notre article).
Un beau sac de nœuds !
Retenons seulement que le sous-traitant admis au paiement direct peut toujours agir contre l’entreprise plutôt que le MO 🙂
Cour d’appel de Paris, 4 octobre 2024, 24/0380524/03805