L’imputabilité, qu’est-ce à dire que ceci ?![1]

L’imputabilité est une de ces belles notions qui illustrent la puissance de la fiction juridique : en clair, c’est l’imputabilité qui permet d’attribuer à quelqu’un la responsabilité d’un fait ou d’un dommage, alors même que cette personne n’est pas fautive. Pensez, par exemple, à la garantie décennale qui permet au maître d’ouvrage d’actionner le maître d’œuvre sans avoir à prouver sa faute, mais seulement que son dommage n’est pas sans lien avec les missions du maître d’œuvre (= imputabilité !).

Il en va ainsi pour l’application des pénalités de retard : « Lorsque le cocontractant n’est que partiellement responsable d’un retard dans l’exécution du contrat, les pénalités applicables doivent être calculées seulement d’après le nombre de jours de retard imputables au cocontractant lui-même ».

Autrement dit, chaque fois que l’entreprise parviendra à prouver que les causes du retard lui sont extérieures, elle pourra se dédouaner des pénalités de retard.

Pénalité et imputabilité : et si une modification du marché est à l’origine du retard ?

Dans l’espèce qu’a jugé récemment le Tribunal administratif de Caen, l’entreprise soutenait, chose intéressante, que les retards reprochés étaient consécutifs aux modifications du contenu des prestations en cours d’exécution du marché.

Situation familière ?

La réponse du juge donne à réfléchir, puisque celui-ci écarte cette prétention au regard d’une double considération :

  • L’entreprise n’apportait pas d’élément permettant « de démontrer et de mesurer objectivement l’ampleur de ces modifications et leurs implications concrètes »
  • Elle ne précisait pas le nombre de jours de retard à déduire.

La charge de la preuve pesant sur les entreprises – et réciproquement ne pesant pas sur le maître d’ouvrage – semble donc particulièrement lourde. Quels éléments permettraient ainsi de « mesurer objectivement l’ampleur des modifications et les implications concrètes » ? Cela restera mystérieux, à moins d’un appel… ?

Pénalité et formule de calcul : qu’est-ce que le « prix de base » ?

De plus, le Tribunal administratif de Caen a souligné dans la même affaire un point tout aussi intéressant, à savoir que l’acheteur ici n’avait pas dérogé aux CCAG concernant la formule de calcul, et que l’entreprise contestait l’interprétation des termes-mêmes de cette formule.

Petit rappel pour les petits oublis : P = V * R / 3000 (ou 1000) dans laquelle : P = le montant de la pénalité ; V = la valeur des prestations en prix de base ; et R = le nombre de jours de retard.

Pour l’entreprise la valeur des prestations devait s’entendre du prix effectivement facturé.

Le juge caennais ne la suit pas, qui (re)précise que le prix de base « s’entend comme le montant du marché initial tel que fixé dans l’acte d’engagement, et non au prix effectivement facturé ».

Échec et mat…

TA Caen, 3ème Chambre, 19 septembre 2023, n° 2102254


[1] Le Roi Burgonde, « Kaamelott » par Alexandre Astier.