Parfois la jurisprudence va si bon train que l’on en oublierait presque que derrière chaque grande décision se cache un texte, et donc… le législateur ! Actuellement en discussion au Parlement selon la procédure accélérée, le projet de loi pour la simplification de la vie économique comporte son lot de mesures estampillées « commande publique ».
Parmi les mesures-phrases, deux retiennent plus particulièrement l’attention au regard des commentaires émis par le Conseil d’État dans son avis (en tant que conseil du gouvernement, et non en tant que juge).
Le projet de loi prévoit d’une part d’unifier la totalité du contentieux de la commande publique au profit du juge administratif, et plus précisément de qualifier d’administratif l’ensemble des contrats conclus par un acheteur ou une autorité concédante soumise au code.
D’aucuns pouvaient souligner (à juste titre) l’incohérence qui consistait à attribuer au juge judiciaire des contrats traduisant la puissance publique mais passés par une personne privée, et au juge administratif les marchés de personnes publiques souhaitant acheter des stylos bleus…
Cependant le Conseil d’État lui-même parait très dubitatif quant à la pertinence de la mesure, et propose d’ailleurs au Gouvernement et d’en re-questionner la pertinence, et d’en repousser l’entrée en vigueur. Sa retenue se fonde sur deux éléments :
1) selon ses termes « il convient toutefois de ne pas surestimer les avantages de la mesure en termes de simplification pour les entreprises ». Car le partage de juridiction actuel est connu, pas si problématique (rares hésitations quant au juge compétent, rares divergences d’interprétation), et que faire bouger les lignes pourrait amener des difficultés nouvelles dans la mesure où c’est le contentieux de l’activité de ces personnes privées qui serait partagé entre deux ordres…
2) le juge administratif pourra être saisi, au titre de l’exécution des contrats relevant actuellement du juge judiciaire, de questions nouvelles pour lui, ce qui représenterait une charge de travail supplémentaire.
Quant à la seconde mesure retenant l’attention, le projet de loi ouvre d’autre part la possibilité, pour certains projets d’infrastructures concourant à la transition énergétique, de déroger aux obligations d’allotissement et de paiement direct.
Moins retenu, mais toujours pas convaincu, le Conseil d’État estime nécessaire de redéfinir les contours de cette dérogation, en la recentrant sur deux types de projets :
- les projets d’installation de production d’énergie renouvelable en mer, et les études associées à la réalisation de telles installations ;
- les projets de création ou de modification d’ouvrages du réseau public de transport et de postes de transformation entre les réseaux publics de transport et de distribution.
La dérogation « inédite » au paiement directe ne poserait plus de problème dans ces conditions, au vu des contraintes administratives qui pèsent sur les acheteurs concernés et des garanties financières importantes des titulaires des marchés en cause.
Ce paiement direct serait remplacé par une action directe (pour aller plus loin, voir l’épisode de La Commande publique en short : « Le droit au paiement direct »).
Enfin, le pouvoir décrétal devra fixer les seuils en puissance électrique et en montant auxquels sont respectivement soumises les deux dérogations.
CE, avis ass. générale, 22 avril 2024, relatif au projet de loi de simplification