Un DGD tacite sans Chorus pro, est-ce possible ?

Dans un précédent article, nous (re)faisions le point sur les différentes étapes qui jalonnent le parcours du maître d’ouvrage et de l’entreprise de travaux jusqu’à la naissance du décompte général et définitif, le fameux « D.G.D. ». Pour le cas où l’entrepreneur de travaux aurait valablement initié cette – lourde – procédure d’établissement du décompte, il peut, face à l’inertie du maître d’ouvrage et/ou du maître d’œuvre, se prévaloir de la naissance implicite d’un DGD à l’expiration de certains délais.

Mais encore faut-il qu’il ait « valablement » engagé la procédure d’établissement du décompte !

Tout commence par l’envoi d’un décompte final, projet de DGD en somme, par le titulaire, et, surtout, tout se passe normalement sur Chorus pro. Seulement voilà, cette obligation n’existe dans les marchés publics que depuis le 1er janvier 2020, et, dans l’affaire examinée par la Tribunal Administratif de Montpellier, l’acte d’engagement du marché avait été signé en … 2017.

Le titulaire n’ayant pas utilisé la plate-forme invoquait donc deux arguments, corrélatifs :

  • La règlementation imposant l’usage de Chorus Pro est entrée en vigueur postérieurement à la signature du marché, donc ne lui est pas applicable ;
  • De plus, le CCAG Travaux de 2009 permettait la transmission du décompte final « par tout moyen ».

Sans grande surprise néanmoins, le juge torpille ces deux arguments en rappelant que

  • le législateur avait prévu l’application immédiate de la loi aux contrats en cours, ce qu’il pouvait légitimement prévoir s’agissant de situations non encore consolidées,
  • et que la hiérarchie des normes en France place le CCAG (approuvé par arrêté ministériel) en-deçà de la loi, tant et si bien que s’agissant de prescriptions d’ordre public – et de surcroit postérieure – le CCAG avait été en quelque sorte « abrogé » sur ce point.

Un dernier argument paraissait pouvoir sauver la société requérante, qui invoquait son ignorance quant à l’obligation d’utiliser le portail de facturation. Et pour le coup, le législateur abondait dans son sens puisque la loi prévoit que « lorsqu’une facture lui est transmise en dehors de ce portail, la personne publique destinataire ne peut la rejeter qu’après avoir informé l’émetteur par tout moyen de l’obligation mentionnée à l’article L. 2192-1 et l’avoir invité à s’y conformer en utilisant ce portail ».

Néanmoins, le juge s’appuie cette fois sur les circonstances de fait pour rejeter l’argument, l’instruction du dossier faisant apparaître que la société avait bel et bien été informée préalablement de cette obligation. Peu importe, à cet égard, que l’information lui ait été transmise par un autre que le maître d’ouvrage lui-même.

TA Montpellier, 15 juin 2023, n° 2105058