Forts d’avoir capté votre attention grâce à ce titre tout en sobriété (héhé…), nous aimerions vous parler aujourd’hui de l’affaire jugée par la CAA de Versailles du 17 octobre 2024.
Dans le cadre d’une procédure de passation, l’autorité concédante (il s’agit donc de concession mais cela importe peu à vrai dire) s’était fondée sur 4 critères hiérarchisés de la manière suivante :
- 1 – » localisation géographique du ou des installations du candidat au regard de la nécessité d’une intervention rapide en tous points du secteur « ,
- 2 – » performance des moyens mis en œuvre par l’entreprise « ,
- 3 – » qualité de la prestation au public « ,
- 4 – » prestations tarifaires « .
Le premier de ces critères tenant à la location géographique du candidat fait évidemment tordre le nez. On sait en effet qu’en application des principes de libre-accès et d’égalité de traitement des candidats, tout critère de choix des offres à objet ou à effet discriminatoire est interdit. En particulier ceux qui visent à attribuer les marchés publics sur la base d’une préférence locale ou nationale.
Mais qui dit principe dit exception, et ces interdictions doivent être nuancées.
Dans une réponse du 1er juillet 2010, le ministre du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’État avait précisé que : « une obligation d’implantation géographique, si elle est justifiée par l’objet du marché ou par ses conditions d’exécution, peut néanmoins constituer une condition à l’obtention du marché » (JO Sénat du 01/07/2010 – page 1697).
Mais la difficulté pratique tient toujours à savoir quand on peut considérer que la demande de l’acheteur est « justifiée » par l’objet du marché.
Exemple :
La CAA de Versailles juge que dans un contrat ayant pour objet le dépannage, le remorquage et la mise en fourrière de véhicules, le critère tenant à la localisation géographique des installations du candidat est justifié au regard du délai d’intervention très rapide (limité à 30min) concernant les véhicules en panne sur les axes très fréquentés, et notamment autoroutiers.
(Voir aussi notre article « Vers un localisme toléré ? »)
Là où l’arrêt est d’autant plus intéressant, c’est que l’autorité concédante avait en l’espèce mis en œuvre ce critère de façon très particulière :
- 5 points de référence avaient été définis de façon discrétionnaire sur tout le territoire d’intervention, or de ce choix dépendait le calcule de la distance d’éloignement des candidats et donc leurs notes, ce qui était évidemment contesté par l’entreprise évincée ;
- Il n’était tenu compte que de la distance et pas de paramètres tels que la fluidité de la circulation, donc du temps « réel » d’intervention ;
- En cas de pluralité de site d’intervention des candidats, il n’était considéré et mis en comparaison qu’une seule distance d’éloignement : la moyenne des distances d’éloignement de tous les sites du candidat.
(*) Sur le premier point, le juge répond les points de référence ont été certes définis de manière discrétionnaire, mais pas arbitraire pour autant.
Cette définition s’est faite lors de réunions préparatoires en présence des forces de l’ordre, du gestionnaire de voirie et des organisations professionnelles de dépanneurs et fouriéristes (donc de représentants de la profession, en somme). Puis ces points couvrent l’ensemble du territoire d’intervention de façon homogène.
(*) Sur le deuxième point (peut-être le plus intéressant ?), le juge estime que les conditions de circulation « dépendent de facteurs multiples indépendants des candidats et ne pouvaient qu’être difficilement appréhendées par des mesures objectives au stade de la passation du contrat ».
Quelque part, il fait preuve de souplesse et de réalisme en acceptant qu’à défaut de pouvoir être totalement objectif, l’autorité contractante n’est pas obligée de renoncer à mettre en œuvre son critère du moment qu’elle choisit la moins subjectives des méthodes d’évaluation… !
(*) Sur le troisième et dernier point, le juge valide encore le principe d’une comparaison sur la base de la moyenne des distances d’éloignement, en cas de pluralité de sites, ajoutant d’ailleurs que « la multiplicité des sites d’exploitation est de nature à favoriser une plus grande rapidité d’intervention en tout point du secteur ». Cette précision laissant toutefois perplexe dans la mesure où le débat ne portait pas sur ce point, mais suggérant, peut-être, que l’autorité contractante aurait pu être d’autant plus généreuse avec les entreprises multisites en prévoyant un critère d’attribution en rapport ?