Quand doublon ne rime plus avec exclusion : le parasitisme ne justifie pas une exclusion de candidature.

Vous avez dit « parasite » ?

En droit de la concurrence, le parasitisme désigne le fait pour une entreprise d’en « vampiriser » une autre. Il s’agit de créer la confusion dans l’esprit des consommateurs pour profiter indûment des efforts du parasité, et, ainsi ,« tirer indûment profit du savoir-faire et des efforts humains et financiers consentis par (l’autre) »[1].

Dans un arrêt du 24 mars 2022, le Conseil d’État s’est prononcé sur le cas pour le moins inédit où, dans le cadre de l’attribution d’une sous-concession de plage, un opérateur avait choisi une dénomination sociale extrêmement proche de celle d’une société candidate « de forte notoriété ». Les premiers juges avaient estimé que cette proximité créait un « grave risque de confusion » entre les opérateurs, et que l’autorité concédante ne pouvait pas rester impassible face à ce risque. Qu’en est-il au final ?

Candidature aux marchés publics = respect du droit de la concurrence

Le droit de la commande publique et le droit de la concurrence entretiennent, à plus d’un titre, des rapports étroits. C’est ainsi que les principes fondamentaux de la commande publique visent justement à garantir une saine concurrence et l’émergence de l’offre économiquement la plus avantageuse pour l’acheteur ou l’autorité concédante. C’est ainsi encore que le Code de la commande publique organise plusieurs cas d’exclusions de la procédure de passation en relation avec les comportements anti-concurrentiels.

De même que la régularité des offres (v. à ce sujet les derniers développements en matière d’offres hors délai en cas de dysfonctionnement du profil acheteur), l’admissibilité des candidatures est un de ces nombreux points de droit laissés à l’appréciation et à la responsabilité corrélative des pouvoirs adjudicateurs.

Les articles L.2141-8 et -9 du code ouvrent ainsi à l’acheteur la faculté d’exclure un candidat dans les hypothèses suivantes :

  • tentative d’influence du processus décisionnel
  • tentative d’obtention d’informations confidentielles susceptible de conférer un avantage concurrentiel
  • fourniture d’informations trompeuses susceptibles d’influencer l’acheteur
  • constitution d’une entente anticoncurrentielle
  • accès préalable à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence

Sauf ce dernier cas, des dispositions équivalentes ouvrent la même faculté à l’autorité concédante, aux articles L.3123-8 et -9 du code.

Les articles L.2141-11 (marchés) et L.3123-11 (concessions) prévoient en outre que l’acheteur-autorité concédante doit permettre au candidat qu’il souhaite exclure d’assurer sa défense. Autrement dit, de présenter ses observations dans un délai raisonnable afin de démontrer que les éventuels manquements ont été corrigés et/ou que sa participation ne pose pas de problème d’égalité de traitement (soit : d’égale concurrence !).

Respect du droit de la concurrence = exclusion des candidatures parasites ?

En l’espèce, le tribunal administratif de Toulon avait identifié, dans la proximité des raisons sociales en cause, un risque de confusion tel qu’il était susceptible d’influencer la conduite et le résultat de la procédure de sélection. L’attributaire pressenti avait en effet choisi la dénomination « Société EPI ». Il n’avait pourtant pas de liens avec la « société EPI Plage de Pampelonne », dont l’actionnaire unique était également candidat. Le tribunal en a tiré la conséquence que l’autorité concédante aurait dû écarter l’attributaire pressenti, ou à tout le moins lui demander de présenter ses observations. De là, il a annulé la procédure de passation.

Le Conseil d’État prend le contrepied et commence par rappeler que les dispositions des articles L.3123-8 et -9 du code précitées « permettent à l’autorité concédante d’exclure de la procédure de passation d’un contrat de concession une personne qui peut être regardée, au vu d’éléments précis et circonstanciés, comme ayant, dans le cadre de la procédure de passation en cause ou dans le cadre d’autres procédures récentes de commande publique, entrepris d’influencer la prise de décision de l’acheteur et qui n’a pas établi, en réponse à la demande que l’acheteur lui a adressée à cette fin, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être mis en cause et que sa participation à la procédure n’est pas de nature à porter atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats. »

Par analogie, et parce que cela a été jugé sous l’empire de l’ordonnance marchés du 23 juillet 2015[2], il y a tout lieu de penser que cette interprétation s’attache également aux articles L.2141-8 et -9 applicables aux marchés.

Cette interprétation étend les cas d’exclusion ouverts aux pouvoirs adjudicateurs aux hypothèses, a priori non prévues par le code, où les manquements reprochés se seraient avérés sur des consultations antérieures, et même des consultations d’autres acheteurs-autorités concédantes.

Dont acte.

Exclusion injustifiée

Le Conseil d’État poursuit et conclut en jugeant que « le choix par un opérateur économique d’une dénomination sociale ne saurait, au seul motif que celle-ci est susceptible d’induire un risque de confusion avec une autre société également candidate à l’attribution de la sous-concession en litige, justifier son exclusion sur le fondement » de ces dispositions.

Par suite, il annule l’ordonnance du tribunal administratif.

Et si le doute restait permis… ?

La solution du Conseil d’État parait claire et elle laisse pourtant entrevoir plusieurs nuances possibles :

  • le choix d’une raison sociale peut-il justifier l’exclusion d’un opérateur sur un autre fondement ?
  • le choix d’une raison sociale peut-il justifier l’exclusion d’un opérateur sur ce fondement dès lors qu’elle est motivée par autre chose que le seul risque de confusion entre entreprises candidates, par exemple par des éléments probants ou un faisceau d’indices que ce risque de confusion était volontairement recherché (donc par la preuve d’un comportement réellement parasitaire) ?

Affaire à suivre…

 CE 24 mars 2022, Société EPI, n° 457733


[1] Cass. Com., 5 juillet 2016, 14-10.108.

[2] CE 24 juin 2019, Département des Bouches-du-Rhône, n° 428866.