Le titulaire d’un marché est-il recevable à contester la conformité de l’offre de son concurrent soumissionnaire ?

Le titulaire d’un marché est-il recevable à contester la conformité de l’offre de son concurrent soumissionnaire ?

La compagnie Nationale Roumaine de chemin de fer (que l’on nommera désormais CFR) a lancé un appel d’offres pour la passation d’un marché public de travaux de réhabilitation de la ligne ferroviaire.

L’offre de la société Alstom a été exclue de la procédure en raison de considérations liées à la capacité de réalisation de l’objet du marché. Cette dernière a donc formulé un recours pour demander l’annulation de cette décision. La cour d’appel a fait droit au pourvoi et a considéré que l’offre de la société Alstom était recevable et que la CFR devait réévaluer l’offre de Brasig qui avait été désigné comme titulaire. 

Suite à cette réévaluation, la société Alstom a été désigné titulaire, pourtant elle a à nouveau saisi le tribunal pour demander l’annulation de la décision de la CFR qui a déclaré l’offre de Brasig comme recevable et conforme.

En fin de compte Alstom reproche à Brasig d’avoir essayé d’influencer de manière répétée les membres du comité d’évaluation de la CFR afin de dévaloriser son offre.

Ce recours a été rejeté car considéré comme tardif, car dépassant le délai de 10 jours prévus par la règlementation Roumaine.

Quel délai pour formuler un tel recours, et quel intérêt ?

Quel délai ?

La question préjudicielle posée à la CJUE est la suivante :

→ Quel délai prendre en compte dans le cadre d’un recours formulé contre une décision d’admission d’un soumissionnaire ?

Pour la CJUE, afin d’assurer des recours efficaces contre les violations des dispositions applicables en matière de passation des marchés publics il convient que les délais prévus pour former ces recours ne commencent à courir qu’à compter de la date à laquelle le requérant a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de la violation alléguée de ces dispositions.

La CJUE précise que les textes applicables[1] en matière de marchés des entités opérant dans le secteur de l’eau, de l’énergie, et des transports doivent s’interpréter de la manière suivante :

  • Le délai dans lequel le titulaire d’un marché peut introduire un recours contre une décision de l’entité adjudicatrice déclarant recevable l’offre d’un soumissionnaire évincé peut être calculé en prenant comme point de référence la date de la réception de cette décision d’attribution à l’attributaire. Et ce, même si, à cette date, le soumissionnaire évincé n’a pas encore introduit un recours contre l’issue de la procédure de passation du marché.
  • En revanche, si lors de la notification de cette décision, un exposé synthétique des motifs pertinents tels que les informations relatives aux modalités d’évaluation de l’offre, n’a pas été porté à la connaissance de l’attributaire, ce délai doit être calculé en prenant comme point de référence la communication de ces informations à l’attributaire.

Quel intérêt pour le titulaire ?

Quel est ici l’intérêt de l’entreprise attributaire pour former un tel recours ?

L’accès aux voies de recours doit être assuré à toute personne ayant un intérêt à obtenir un marché déterminé et risquant de subir un préjudice du fait de l’infraction alléguée[2]. La seule exception à ces deux conditions est le cas du soumissionnaire définitivement exclu de la procédure de passation de marché.

Quid en l’espèce ?

L’intérêt pour l’attributaire est ici de préserver son droit de signer le marché, puisqu’il risque d’être lésé par l’erreur commise par la CFR lors de la réévaluation de l’offre de Brasig qui a consisté à qualifier une offre non conforme et irrecevable de recevable.

De plus l’entreprise attributaire ne relève pas de la seule exception régie par la législation en matière de marchés publics (puisqu’elle n’est pas un soumissionnaire définitivement exclu de la procédure) et a donc potentiellement intérêt à contester l’issue de la procédure de passation de marché concernant les modalités d’évaluation de l’offre de BraSig.

CJUE, affaire C-523/20 du 24 février 2022


[1] L’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, et paragraphe 3, ainsi que l’article 2 quater de la directive 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications, telle que modifiée par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014,

[2] Article 1 er, paragraphe 3, de la directive 92/13