La modification unilatérale du contrat ? C’est tout simplement la règle générale des contrats administratifs, rappelée par l’article L6 du code de la commande publique, qui demeure dans l’ombre de sa grande sœur : la résiliation pour motif d’intérêt général.
Non pas que le droit privé ne connaisse aucune forme de modification unilatérale (art. 1164 alinéa 1er du nouveau code civil), mais, en droit administratif, la personne publique dispose d’un pouvoir général et d’ordre public de modification unilatérale du contrat pour motif d’intérêt général. Pouvoir qui demeure soumis, rappelons-le, comme toute modification, aux règles du CCP et notamment à la limite de la modification substantielle (voir notre article « Qu’est-ce qu’une modification substantielle ? »).
Dans une affaire portée devant le juge marseillais, une commune concédante avait délégué ses services de distribution d’eau potable et d’assainissement dans un cadre un peu particulier. Dans ce cadre initial, les consommations des usagers de la commune et de sa commune limitrophe n’étaient pas des mieux ventilées, certains consommateurs étaient rattachés à la commune voisine et vice versa, ce qui faussait légèrement les volumes d’achat d’eau à leur SIVOM respectif.
Les lignes ont bougé suite à la conclusion d’une convention tripartite entre SIVOM et communes concernées. Mais alors, le contrat de concession de service public conclu antérieurement s’en trouvât également impacté puisque la liste des usagers à fournir n’était plus la même : de l’ordre d’une poignée d’usagers en plus pour une pincée d’usagers en moins…
La clause de révision de prix
Avant de basculer sur les règles générales, le juge se doit d’appliquer les stipulations du contrat lui-même (à moins qu’elles ne soient illégales !). Ici, la concession elle-même prévoyait la révision des tarifs de la concession « pour tenir compte des changements extérieurs ou décidés par la collectivité ». L’affaire semblait donc dans le sac !
Sauf que les cas de mise en jeu de cette clause étaient limitativement énumérés par le contrat, parmi lesquels :
- modification du périmètre de la concession ;
- modification significative des conditions d’exploitation.
La CAA de Marseille pose une distinction sans ambiguïté : le territoire d’exploitation et le groupe des usagers-cibles. Qu’importe que le nombre et même l’identité des usagers soient modifiés, il n’y a pas ici de modification du « périmètre » de la concession, celui-ci ne renvoyant qu’à une donnée géographique : l’exploitation dans les limites du territoire de la collectivité. Une position pleine de bon sens puisque l’essence des concessions et leur critère de distinction principal par rapport aux marchés est l’existence d’un risque d’exploitation… tenant notamment à l’absence de maîtrise de la fréquentation !
La CAA rejette également l’existence d’une modification significative des conditions d’exploitation, puisqu’il ressort de l’instruction que représentent des quantités négligeables tant le nombre d’abonnés (sept !) que les volumes d’eau impactés : environ 10.000m3 par an, soit 200.000 machines à laver, 111.111 douches de 15min ou 50.000 bains ou encore 10.000 jacuzzis… quand on sait que le tarif de l’eau avec assainissement tourne autour de 4€ TTC par mètre cube, soit 40.000€ TTC de delta en l’espèce, peut-on parler de quantité négligeable ? Oui d’après le juge. En tous cas, eu égard aux prévisions de la convention.
La modification unilatérale du contrat ?
Déboutés de ce premier chef, le concessionnaire ou en tous cas son conseil juridique a oublié d’être bête, puisque l’argumentaire de la requête invoquait l’existence d’une modification unilatérale implicite du contrat de concession. Et qui dit modification unilatérale, dit droit au maintien de l’équilibre financier pour le concessionnaire. Si la porte ne s’ouvre pas, essayons la fenêtre !
La CAA balaie toutefois l’argument, « à supposer que » la signature de la convention tripartite s’analyse comme une modification implicite du contrat de concession – pour le juge, il n’est donc ni utile ni prévu de le vérifier…
Pour ce fait, elle procède à une analyse de l’offre et notamment du montage financier prévisionnel de la société concessionnaire, constatant que :
- ses recettes avaient été calculées en tenant compte d’un nombre estimatif d’abonnés « entre neuf cent soixante-deux et mille cent douze », avec un delta bien supérieur à sept donc… ;
- et les charges d’eau prévisionnelles avaient été estimées dans l’absolu à X mètres cube, sans indexation sur le nombre d’usagers.
Pour le juge, cette absence de lien de dépendance entre charges d’eau et nombre d’usagers permet d’écarter l’existence d’un déséquilibre. Ce qui tend à faire dire qu’à l’inverse, un lien direct entre les deux aurait permis de qualifier un déséquilibre… dont il aurait encore fallu démontrer qu’il était sérieux.
De tous ces éléments, la CAA de Marseille déduit que le concessionnaire n’a pas droit à être indemnisé des surcoûts engendrés par la nouvelle répartition des usagers.
CAA Marseille, 6ème chambre – formation à 3, 6 mars 2023, n° 20MA03585
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