L’expérience de l’acheteur peut-elle s’opposer au recours à une procédure négociée ?

L’expérience de l’acheteur peut-elle s’opposer au recours à une procédure négociée ?

Les procédures dérogatoires dans le Code de la commande publique : oui, mais quand ? Entendons par là les procédures formalisées donnant aux acheteurs un peu plus de latitudes et notamment la possibilité de négocier (la fameuse !). L’entité adjudicatrice peut librement recourir à une procédure négociée. Mais la procédure avec négociation et le dialogue compétitif sont autorisées dans un certain nombre, limité, de cas pour les pouvoirs adjudicateurs, confinés sinon dans les rigueurs de l’appel d’offres (voir les articles du code).

Et il semblerait que le principe d’interprétation stricte des exceptions ait le vent en poupe dans le prétoire du Conseil d’État, qui vient de confirmer une position du Tribunal administratif de Bastia estimant que l’expérience de l’acheteur doit être prise en compte pour apprécier le caractère complexe d’un marché. (Ce caractère complexe étant l’un des motifs qui ouvrent la voie à la procédure avec négociation ou le dialogue compétitif).

Tenir compte des capacités de l’acheteur ? Mais c’est exactement ce que ne fait pas le juge lorsqu’il viendrait, cette fois, apprécier le caractère légitime d’une dérogation à l’allotissement : le simple fait de pouvoir passer un marché d’OPC suffit à conjurer l’argument de l’acheteur qui se dirait incapable d’organiser le pilotage d’un chantier pour avoir accès au marché global (voir notre billet).

Tentons de digérer notre déception en soulignant qu’il s’agit ici de la position d’une chambre jugeant seule, autrement dit la formation la moins solennelle et la plus « discrète » du Conseil d’État. À l’heure où ces lignes sont rédigées, la décision n’est d’ailleurs pas (encore ?) disponible sur Légifrance. Une rectification de tir n’est donc pas tout à fait impensable.

Rappelons également que certains Tribunaux administratifs nous font grâce de positions plus favorables au recours à ces procédures dérogatoires, ainsi par exemple du TA de Bordeaux qui avait jugé cet été que la complexité s’appréciait globalement, au niveau de l’opération, et non pas lot par lot (voir notre billet). Le résultat étant que des lots ayant un objet classico-simpliste peuvent ainsi se voir « embarqués » dans la consultation négociée alors même que rien ne le justifie à leur échelle.

CE, 21 déc. 2022, CH d’Ajaccio et de Bastia, n° 464685