Dans un arrêt récent, du 14 février 2023, le juge administratif d’appel nancéien nous offre deux jolies problématiques liées à l’identification du titulaire de l’action contractuelle contre le maître d’ouvrage, ou, pour le dire plus simplement : qui, parmi les entrepreneurs de travaux, peut demander des comptes et sur quel fondement ?

  • Lorsque le contrat ne précise pas la répartition des tâches, le cotraitant peut-il exercer une action indemnitaire ou doit-il passer par le mandataire ?
  • Lorsqu’un associé devient associé unique, peut-il exercer une action sur le fondement du contrat entre la société dont il est actionnaire et le maître d’ouvrage en contrat avec elle ?

Le cotraitant peut-il agir en justice ou doit-il passer par son mandataire ?

En cas de cotraitance, le groupement momentané d’entreprises peut prendre deux formes : conjoint, où chacun est responsable pour sa part, et solidaire, ou chacun est responsable pour tous. Bien entendu, dans l’un et l’autre cas, c’est un mandataire unique – lui-même solidaire ou pas – qui représente le groupement auprès du maître d’ouvrage. (Voir notre FAQ – Le groupement d’entreprises).

De par ce pouvoir de représentation, le mandataire est en principe habilité à représenter le groupement dans le cadre d’un litige de même que chaque membre peut, en principe, actionner le maître d’ouvrage pour la partie qui le concerne. En cas de groupement solidaire, le Conseil d’État est même allé plus loin en posant une présomption de représentation mutuelle, autrement dit, le principe selon lequel chaque membre du groupement solidaire peut représenter l’autre dans le cadre d’une action en justice (CE, 11 mai 2011, SERDA, n°327452).

Le fait est que cette présomption ne tombe pas, même lorsque le marché ne prévoit aucune répartition des tâches entre les cotraitants (CE, 19 mai 2022, BDM Architectes, n°454637), de sorte qu’a fortiori :

« un membre d’un groupement solidaire, qu’il en soit ou non le mandataire, est recevable à demander le paiement, pour son propre compte, des seules prestations qu’il a personnellement effectuées, y compris lorsque le marché ne précise pas la répartition des tâches entre les membres de ce groupement ».

L’associé unique d’une société peut-il agir « comme » la société elle-même ?

Mais la cour administrative d’appel était saisie d’une autre problématique, plus inédite, à savoir la question de la circulation du contrat entre une société contractante et son associé devenu associé unique (Voir notre Infographie relative à la circulation du marché public).

Il faut savoir que le code du commerce, qui régit les sociétés, prévoit des cas dits de « transmission universelle de patrimoine » (T.U.P.) : par l’effet de la loi, le patrimoine d’une personne juridique (une société) est automatiquement, et globalement, intégré au patrimoine d’une autre personne juridique. Cela advient dans des cas bien connus tels que la fusion de deux sociétés, et dans pareils cas le droit de la commande publique prévoit que le changement de titulaire du marché public est légale (car nécessaire…).

En l’espèce, la cour était confrontée au cas de l’associé unique. Une condition légale d’existence des sociétés est celle de la pluralité d’associés (au moins deux !) puisqu’ils doivent poursuivre, ensemble, des intérêts lucratifs communs. Dès lors, le code de commerce prévoit que lorsque toutes les parts d’une société sont réunies en une seule main, celle de l’associé unique, la société est dissoute[1] et il y a T.U.P. au bénéfice de ce dernier Mohican (article 1844-5 du code de commerce).

Quid des contrats conclus ? Sauf cas particuliers, la T.U.P. a pour effet de les intégrer au patrimoine de l’associer, autrement dit, d’en faire le nouveau cocontractant !

Fort logiquement, la cour conclut que l’action contractuelle pouvait bien être exercé par une personne qui n’avait pas originellement signé le contrat, mais qui était bien aujourd’hui, par le fait de la T.U.P., « venue aux droits et obligations » de la société initialement contractante.

CAA Nancy, 14 février 2023, n° 20NC02978


[1] Sauf régularisation dans le délai de 1 an, et sauf si aucune demande ne s’élève car le code de commerce prévoit bien que cette dissolution n’intervient pas de plein droit.