L’allotissement est la règle et le marché global l’exception. Le droit de la commande publique est conçu pour favoriser l’accès des PME, et les acheteurs doivent motiver très précisément toute dérogation. Seules certaines circonstances – contraintes techniques, surcoût significatif, impossibilité de coordination – permettent d’y déroger. Les juges sanctionnent régulièrement les acheteurs qui invoquent des motifs vagues ou trop généraux.
Le Tribunal administratif de Nancy a récemment apporté un éclairage intéressant sur la hiérarchie des principes en commande publique. Dans une affaire concernant l’aménagement écologique de plusieurs sites le long de la Seille, le juge a validé le choix de l’acheteur de ne pas allotir le marché au nom de l’unité environnementale du projet. Mais attention : il ne s’agit pas d’une nouvelle dérogation. Plutôt d’une interprétation « moderne » du code !
Dans les faits, le syndicat mixte de la Seille avait lancé un marché unique pour restaurer plusieurs sites : arasement d’ouvrages hydrauliques, réactivation de zones humides, replantation de saulaies… Autant d’opérations réalisées sur des sites distincts, mais poursuivant toutes le même objectif écologique.
Des entreprises évincées ont contesté cette absence d’allotissement, estimant qu’il aurait fallu découper l’opération en plusieurs lots.
Rappelons que l’article L. 2113-10 du code de la commande publique impose par principe l’allotissement : les marchés doivent être décomposés, sauf impossibilité ou dérogation spécifique. Les exceptions sont limitativement prévues par l’article L.2113-11, et le juge exerce traditionnellement un contrôle strict sur leur mise en œuvre. À la limiter de l’interprétation neutralisante (voir notre article sur ce point).
Parmi ces exceptions figure notamment le cas suivant : « La dévolution en lots séparés risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution des prestations ».
Et sur cette base, le Tribunal de Nancy a considéré ici que le marché pouvait être valablement passé en lot unique. Pourquoi ? Parce que malgré la pluralité géographique, le projet présentait une homogénéité hydro-écologique indéniable. Autrement dit, il s’agissait d’un tout : les interventions techniques et environnementales ne pouvaient être efficacement séparées sans nuire à l’objectif global.
Le juge en a conclu que le syndicat n’avait pas commis d’erreur d’appréciation en s’écartant du principe d’allotissement.
Cette décision nancéienne illustre une nuance importante à la règle de l’allotissement obligatoire : lorsque l’objet même du marché de travaux poursuit un objectif environnemental cohérent et indivisible, cette finalité peut justifier de passer outre l’allotissement.
En résumé, un signal fort : les enjeux environnementaux peuvent primer sur la fragmentation artificielle d’un marché.