Le Tribunal administratif de Nîmes rappelle que l’allotissement est la règle, le marché global l’exception, et que les exceptions sont d’interprétation stricte. C’est okay ?!

L’allotissement est la règle

On aurait tendance à l’oublier, ou à le relativiser, mais l’allotissement de tous les marchés est une règle originelle et intangible du droit de la commande publique.

Ce droit est tout entier tourné vers l’accès des PME et TPE aux marchés, et l’allotissement ne constitue-t-il pas, au premier chef, un moyen de faciliter cet accès ?

Allotir, c’est-à-dire décomposer une consultation en plusieurs lots distincts, est un principe prévu par l’article L2113-10 du code de la commande publique, relatif aux marchés publics uniquement (autrement dit les concessions ne sont pas soumises à cette obligation, a priori).

Il existe une exception « de bon sens » et quelques véritables dérogations.

Bien souvent (trop souvent ?) cependant, les justifications du recours au marché global sont empreintes d’une certaine sobriété, que les juges tolèrent de moins en moins. Ainsi en l’espèce l’acheteur en cause avait-il justifié l’absence d’allotissement de son marché par les motifs suivants :

  • « le territoire de la ville (…) constitue à lui seul un lot géographique à l’échelle de l’agglomération » ;
  • « les prescriptions techniques homogènes et cohérentes à l’échelle de la ville, la mutualisation et la complémentarité des moyens humains et matériels ainsi que des outils à déployer permettent d’assurer la cohérence opérationnelle nécessaire à l’organisation des prestations, à l’atteinte des objectifs fixés et à garantir la continuité du service public, tout en assurant la mise en concurrence et le respect des règles fixées par le code de la commande publique ».

Une exception de bon sens

Le bon sens tout d’abord veut que l’on allotisse pas les contrats « si leur objet ne permet pas l’identification de prestations distinctes ». C’est le cas, typiquement, de la maîtrise d’œuvre.

Attention toutefois, car comme le juge peut refuser de voir des sous-critères là où l’acheteur les concevait, il peut identifier des lots là où l’acheteur n’en voyait pas.

L’allotissement peut être technique (des prestations distinctes par leur nature, par exemple les différentes corps d’état dans une opération de travaux) mais aussi géographique (une exécution répartie sur plusieurs sites). Or, le juge sanctionne l’absence d’allotissement de prestations de même nature lorsque l’identification de lots géographiques était possible ![1]

Les dérogations lex specialis[2]

Le droit ensuite, permet de déroger à la règle de l’allotissement lorsque, premièrement, les conditions sont réunies pour passer un marché global spécifique, prévu par la loi (art. L2171-1 du CCP) (conception-réalisation, marché global de performance, marché global sectoriel).

Des dérogations de circonstance

Deuxièmement, le marché peut n’être pas alloti en fonction du contexte et des spécificités de l’opération (art. L2113-11 du CCP), la dérogation devant alors être dûment motivée dans les documents de la consultation.

S’agissant d’un risque de restriction de concurrence (2°), la jurisprudence n’a pas encore illustré ce cas de figure, bien qu’on puisse imaginer qu’il tiendrait à la suspicion d’ententes anticoncurrentielles sur des secteurs sensibles.

Mettons le cas d’école suivant : une consultation découpée en trois lots techniques A, B et C, avec deux entreprises A1 et A2 susceptibles de se grouper, deux entreprises B1 et B2 susceptibles de se grouper, et deux entreprises C1 et C2 susceptibles de se grouper. Chacun des groupements pourraient ainsi pratiquer des prix excessifs. Mais ne pas allotir l’opération encouragerait plutôt des groupements du type A1-B1-C1 et A2-B2-C2 qui entreraient en compétition et devraient dès lors jouer pleinement le jeu de la concurrence sur les prix.

S’agissant des motifs opérationnels, l’acheteur pourrait démontrer qu’il « n’est pas en mesure d’assurer par lui-même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination » (1°).

En théorie.

En pratique, cette circonstance semble particulièrement difficile à établir dans la mesure où il a été jugé que l’acheteur pouvait avoir recours à un marché d’OPC pour pallier l’insuffisance de ses moyens propres…[3]

S’agissant des motifs financiers, l’acheteur peut démontrer que l’allotissement « risque de rendre (…) financièrement plus coûteuse l’exécution des prestations » (2°).

Toutefois la jurisprudence a précisé que l’impact financier négatif d’un allotissement devait être majeur, autrement dit que l’économie d’échelle potentiellement réalisée devait être significative[4]. Les petites économies n’ont donc pas droit de cité ici !

S’agissant des motifs techniques, enfin, l’acheteur peut démontrer que l’allotissement « risque de rendre techniquement difficile (…) l’exécution des prestations » (2°).

Mais là encore, l’appréciation du juge est des plus sévères.

Ainsi des contraintes techniques qui peuvent être identifiées comme courantes dans le secteur d’activité qui fait l’objet du marché, ne peuvent justifier une dérogation à la règle de l’allotissement : délais impartis, nécessité d’une importante coordination entre les prestataires[5], intervention en milieu occupé[6], etc…

Violation des obligations = invalidation de la consultation

L’acheteur qui n’allotit pas alors qu’il y était contraint s’expose, ni plus ni moins, à l’annulation de sa procédure et à l’invalidation du marché qui en découle, pour violation de ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Dans l’affaire en cause, l’acheteur argumentait sur le plan de l’allotissement géographique en invoquant l’unité territoriale de sa commune eu égard au territoire de sa communauté d’agglomération. Toutefois, il n’était pas pertinent d’utiliser cette échelle de comparaison dans la mesure où la communauté n’était pas l’acheteuse. L’allotissement géographique semblait dès lors possible.

De plus, sur le plan de l’allotissement technique, l’acheteur invoquait le caractère homogène et cohérent des prestations, néanmoins distinctes par leur nature, et affirmait que la mise en concurrence et le respect des règles de la commande publique n’étaient pas compromises. Mais cette affirmation n’était ni démontrée, ni, en tout état de cause, au nombre des circonstances ouvrant droit à la passation d’un marché global.

Pour toutes ces raisons, l’absence d’allotissement a entaché la validité de la procédure de passation.

TA Nîmes, ord. 23 mai 2022, Sté Nicollin Holding Environnement, n°2201257


[1] CE 23 juillet 2010, Région Réunion, n° 338367.

[2] Selon l’adage latin, lex specialis generalibus derogant : la loi spéciale déroge à la règle générale. C’est une règle qui connait de nombreuses applications puisque le droit de la commande publique est lui-même un droit spécial qui s’applique par dérogation au droit commun des contrats du code civil !

[3] CAA Bordeaux, 1er oct. 2013, n° 12BX00319 ; CAA Lyon, 6 oct. 2011, n° 10LY01121.

[4] Une économie de 2% du budget alloué ne permet pas, en ce sens, de justifier une dérogation à l’obligation d’allotissement : CE, 11 août 2009, Communauté urbaine Nantes Métropole, n° 319949. À l’inverse, une baisse de prix de 66% par rapport à une précédente consultation allotie justifie la possibilité de passer un marché global : CE, 27 oct. 2011, Département des Bouches-du-Rhône, n° 350935.

[5] CAA Bordeaux, n° 12BX00319 précité.

[6] CAA Marseille, 24 fév. 2014, Côte d’Azur Habitat, n° 12MA00586.