Les marchés publics et le code des assurances entretiennent des relations fougueuses. Une de nos infographies s’était d’ailleurs consacrée à la question.
Pour mémoire, le Conseil d’État a depuis longtemps établi que loin d’être incompatibles, ces deux corpus de règles devaient se concilier.
D’un côté le droit des marchés publics confère la toute-puissance à l’intérêt général et les pleins pouvoirs à la personne publique.
De l’autre, son challenger : le droit des assurances où l’assureur bénéficie de nombreux privilèges (n’ayons pas peur des mots), qui en font un titulaire de contrat administratif pas comme les autres.
Un précédent
Le Conseil d’État avait notamment jugé que l’assureur pouvait résilier unilatéralement un marché public d’assurance même sans faute, mais que cette faculté s’exerçait avec des garde-fous.
La personne publique peut différer l’effet de la résiliation en opposant un motif d’intérêt général.
L’idée est de lui laisser suffisamment de temps pour pouvoir relancer un marché et ainsi maintenir sa couverture des risques… dans la limite d’une seule tentative toutefois.
C’est l’affaire Grand Port Maritime de Marseille jugée le 12 juillet 2023 (CE, 12 juillet 2023, 469319).
Mais dans l’affaire jugée le 24 novembre 2025, les choses étaient « un peu » différentes.
Un contexte
Ici il ne s’agissait pas d’un caprice de l’assureur, mais d’une démarche punitive répondant à l’absence de paiement de ses primes par l’acheteur.
Ce dernier avait manqué à régler une part de sa prime annuelle pour l’année 2024. L’assureur avait donc procédé selon les formalités prévues par le code des assurances et procédé d’abord à une mise en demeure (sans réponse), puis à une suspension du contrat (sans réaction), et enfin à la résiliation pure et simple face à l’inertie de l’acheteur.
C’est là que l’histoire prend une tournure dramatique… Car quelques semaines après la résiliation, en décembre 2024, le cyclone Chido frappait durement l’archipel de Mayotte et occasionnait des dégâts au-delà des mots.
L’acheteur a donc sollicité son assureur qui lui a opposé l’inexistence de sa garantie à cette date, puisque le contrat avait été résilié. Alors, tentant le tout pour le tout, le premier a souhaité invoquer les réserves de la jurisprudence Grand Port Maritime de Marseille. En d’autres termes : il a fait valoir devant le juge qu’il existait un motif d’intérêt général permettant d’ordonner la poursuite de l’exécution – comme si la résiliation n’avait jamais produit ses effets – jusqu’à la passation d’un nouveau marché d’assurances.
Et dans les circonstances particulières de l’affaire, le motif d’intérêt général n’était pas difficile à qualifier.
Cependant le Conseil d’État renvoie l’acheteur dans les cordes avec un impressionnant crochet du Droit !
Une surprise… ?
Son argument consiste à dire que le juge n’a pas le pouvoir d’ordonner la reprise d’un contrat qui n’existe plus suite à une résiliation acquise et régulière. L’assureur avait en effet non seulement respecté les formes requises, mais était de surcroit légitime à exercer son droit de résiliation face à un défaut de paiement persistant.
L’intérêt général a atteint ses limites ?
Pas nécessairement !
Le juge ne dit pas que l’acheteur n’aurait pas pu opposer un motif d’intérêt général pour « bloquer » la résiliation. Il semble dire que dès lors qu’elle ne l’a pas fait, la résiliation a produit son plein effet et il est trop tard pour s’adresser au juge. Cette lecture n’est pas qu’une vue de l’esprit : les conclusions du rapporteur public vont très exactement en ce sens et utilisent des formules que l’on peut retrouver dans l’arrêt.
L’affaire illustre en tous cas les conséquences terribles auxquelles s’expose la personne publique qui manque à ses obligations de payer dans un marché d’assurance. Si dans les marchés publics plus « classiques », il peut se sentir intouchable, à la droite d’un juge qui interdit au titulaire de résilier le contrat administratif même pour faute (voir notre infographie), il doit faire profil bas dans un marché public d’assurance où l’assureur est à la droite de la loi…