Dans le milieu commande publique, le référé-expertise est bien connu mais moins prisé que ses cousins les référés précontractuels et référé contractuel. Il est vrai qu’il essentiellement un accessoire, qui ne permet pas d’obtenir une sanction ou une indemnité, mais simplement une expertise dans le cadre d’un autre litige.

Pourtant, l’obtention d’une mesure d’expertise est parfois cruciale, notamment dans le cadre de la garantie décennale.

L’article R. 532-1 du code de justice administrative ne pose pas beaucoup de conditions, sinon celle de l’utilité de la mesure demandée.

En jurisprudence, le juge s’est saisi de cette condition d’une double manière.

Tout d’abord, s’agissant des demandes d’extension des mesures déjà prescrites, cette extension doit elle-même être utile.

Ensuite, l’utilité s’apprécie strictement, à savoir que la mesure ne doit pas être ou difficilement substituable (le demandeur ne doit pas pouvoir obtenir de résultats satisfaisants par une voie équivalente), et elle doit effective (elle doit être susceptible d’exercer une influence sur le litige principal). Ce qui ne sera pas le cas si l’affaire au principal concerne une prétention qui est prescrite.

Dans un arrêt récent, le Conseil d’État avait eu l’occasion de préciser qu’une demande d’expertise a pour effet d’interrompre la prescription de l’action décennale, mais seulement si la partie qui pourrait bénéficier de cette interruption est à l’origine de la demande. En d’autres termes, on ne peut pas se prévaloir de la demande d’expertise faite par quelqu’un d’autre pour esquiver une prescription de l’action décennale. Dans l’affaire jugée, le maître d’ouvrage était pourtant à l’origine de la demande initiale, mais n’avait pas formulé la demande d’extension et ne pouvait donc pas bénéficier de l’interruption de prescription vis-à-vis des entreprises auxquelles la mesure avait été étendue (CE 17 mai 2024, Société SMA Energie, n° 466568).

Dans une affaire jugée le 6 août 2024 par la cour administrative d’appel de Marseille, c’est l’assureur décennal qui tentait d’invoquer au contraire la prescription de l’action décennale (et non l’effet interruptif de la demande d’expertise) pour échapper à un appel en garantie. Cependant la prescription à son encontre ne devait échoir que le 18 décembre 2023. Or une demande d’extension, à son égard, d’une mesure d’expertise avait été sollicitée par le maître d’ouvrage et formulée par l’expert le 27 novembre. Cette demande d’extension est regardée comme ayant a priori interrompu le délai de prescription, de sorte que la demande de mise hors de cause de l’assureur décennal est rejetée !

Cour administrative d’appel de Marseille, Juge des référés, 6 août 2024, 24MA01277