Le Conseil national de l’Ordre des Architectes livre deux recommandations à destination des maîtres d’ouvrage, dans la rédaction de leurs marchés de maîtrise d’œuvre, afin de limiter les impacts de la pénurie des matières premières.

Depuis un certain temps déjà, flambée des prix et pénurie de matières premières nourrissent les cauchemars des acheteurs publics. La machinerie de la commande publique, déjà lourde lorsque ses rouages fonctionnent sans entrave, voit son moteur salement encrassé…

Comment la commande publique peut-elle absorber au mieux ces instabilités économiques ? De façon générale, nous vous livrions quelques pistes pour faire face à la hausse des prix dans un précédent billet (voir notre article), à quoi il faut ajouter la récente circulaire du 30 mars 2022 faisant le point sur la théorie de l’imprévision (voir notre article).

De façon plus spécifique, ce sont les marchés de maîtrise d’œuvre qui doivent faire face à la pénurie des matières premières, ou « crise des matériaux ». Lorsqu’ils ne sont pas seulement rares et fortement onéreux, les matériaux peuvent en effet devenir tout simplement… indisponibles.

Pénurie, quelles conséquences sur la maîtrise d’œuvre ?

Le CNOA note que cette pénurie a deux conséquences :

  1. « Difficulté pour estimer les couts des travaux au cours des études »
  2. « Allongement de la durée des chantiers »

Dès lors, comme le CNOA le rappelle, les engagements contractuels des architectes ou bureaux d’études assurant la maîtrise d’œuvre sont directement impactés.

En effet, les article R.2432-2 à -4 du code de la commande publique (CCP) imposent la fixation par le contrat d’un « seuil de tolérance », c’est-à-dire d’un pourcentage d’écart entre le coût prévisionnel sur lequel s’engage le maître d’œuvre, et le coût de réalisation des travaux constaté à l’issue de la consultation pour le marché de travaux.

Ce seuil de tolérance est fixé par le maître d’ouvrage dans les pièces règlementaires du marché, le CCAP le plus souvent. Et le plus souvent aussi, la sanction qui en résulte est l’obligation de reprendre gratuitement ses études.

Il est alors aisé de comprendre en quoi l’incertitude du contexte économique peut pénaliser injustement les maîtres d’œuvre. Injustice qui se ressent d’autant plus aisément si le maître d’ouvrage a fixé un seuil de tolérance relativement bas.

En outre, l’allongement de la durée des chantiers du fait de la raréfaction des matériaux nécessaires va allonger d’autant le temps de suivi de la maîtrise d’œuvre. Pourtant, l’article L.2432-1 du CCP prévoit que la rémunération du maître d’œuvre est forfaitaire. Et la jurisprudence, pour sa part, maintient que la rémunération forfaitaire couvre les aléas dits normaux de chantier, lesquels n’ouvrent donc pas droit à une rémunération complémentaire[1].

En d’autres termes, le maître d’œuvre va travailler plus pour gagner la même chose !

Pénurie, quelles solutions pour la maîtrise d’œuvre ?

Incertitudes sur les coûts et seuils de tolérance, quelles solutions ?

Le CNOA préconise pour sa part de « suspendre l’application de la pénalité », c’est-à-dire de ne pas exiger du maître d’œuvre la reprise gratuite de ses études, mais plutôt se rapprocher de lui afin d’élaborer un avenant modificatif de projet. Cela, bien sûr, dans le cas où « l’explosion » du coût prévisionnel est directement imputable à la conjoncture économique. Pas à l’inconséquence du prestataire d’études !

On soulignera à cet égard que le code prévoit de toute façon que « le maître d’ouvrage peut demander au maître d’œuvre d’adapter ses études, sans rémunération supplémentaire ». Il n’a donc pas l’obligation de le faire.

Également, l’article R.2432-5 du code pourrait-il être mobilisé ? Celui-ci prévoit que le marché de maîtrise d’œuvre peut se dispenser de prévoir des engagements sur un seuil de tolérance « s’il est établi que certaines des données techniques nécessaires à la souscription de tels engagements ne pourront être connues au moment où ces engagements devraient être pris ».

Allongement des chantiers et rémunération forfaitaire, quelles solutions ?

Le CNOA milite sur ce point pour l’application systématique de l’article 15.3.5. du CCAG-Maître d’Œuvre. Pour mémoire, celui-ci prévoit que lorsque le délai du chantier augmente de +10%, les parties se rapprochent pour examiner les causes de ce retard, et, selon, prévoir une rémunération supplémentaire.

Notons que cette disposition du CCAG ne contredit pas la jurisprudence précitée – selon laquelle le caractère forfaitaire du prix fait obstacle à la rémunération des aléas normaux de chantier – puisque la liberté contractuelle prévaut sur ce point.

À cet égard, le CNOA propose de « prévoir, pour tous les marchés publics en cours d’exécution, que les dispositions de l’article 15.3.5 du CCAG MOE s’appliquent, même si ces marchés ne font pas spécifiquement référence à ce CCAG ». Or, ce jusqu’au-boutisme soulève tout de même la question de l’intangibilité du prix et de ses modalités de variation puisque cela revient, en cours d’exécution du marché, à introduire une modalité de réexamen du prix…

Communiqué du Conseil national de l’Ordre des architectes du 29 mars 2022 (disponible sur son site)


[1] CE, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 29/09/2010, Société Babel, n° 319481.