Dans un précédent billet, nous analysions avec vous la portée d’une ordonnance de référé provision jugeant que lorsque l’acheteur est victime d’une fraude et paie à un pirate informatique les sommes dues dans le cadre de l’exécution d’un marché public, il n’est pas libéré de son obligation de payer le titulaire du marché ! (TA Strasbourg, ord., 17 août 2023, 2303179, confirmé en appel : CAA de NANCY,, 13/11/2023, 23NC02825).
Le juge du fond douaisien rejoint le juge du référé nancéen dans une décision du 26 mars 2024, et va même encore plus loin.
Car à la différence de l’affaire jugée en référé, ce n’est pas cette fois l’acheteur la première victime de la fraude, mais l’entreprise elle-même. En effet, l’entreprise avait été contactée par le fraudeur qui, se faisant passer pour un agent de l’administration contractante, avait obtenu d’elles des informations sur le marché…
Cependant, bien qu’ici l’entreprise ait donc commis une négligence fautive, le juge écarte cette circonstance et n’en tient pas compte, n’examinant l’affaire qu’au regard du seul comportement de l’administration.
En effet, nous sommes dans le cas précis d’une « erreur sur l’accipiens », c’est-à-dire erreur sur la partie censée recevoir le paiement dû. Il s’agit d’une hypothèse prévue par le code civil, qui protège le payeur de bonne foi lorsqu’il était en présence de son créancier apparent. La seule question à se poser est donc de savoir si le « solvens » (débiteur) pouvait légitimement ou non se croire en présence de son véritable créancier.
Or, en l’espèce, le juge relève un certain nombre d’incohérences dans les démarches et documents fournis par le fraudeur à l’administration : interlocuteur inconnu se présentant comme comptable de la société titulaire et aucune démarche de vérification de la part de l’acheteur ; adresses mails suspectes et non identiques d’un document à l’autre ; mentions contradictoires etc…
« Compte tenu de ces incohérences, qui auraient dû donner lieu à des investigations et vérifications complémentaires, notamment auprès des responsables de la société Brunet habituellement en contact avec (l’acheteur), ce dernier n’a pu légitimement croire se trouver en présence du véritable créancier. La circonstance que l’escroquerie présumée ait été rendue possible par la communication préalable par la société (titulaire) de factures est à cet égard sans incidence et ne peut caractériser un manquement à ses obligations contractuelles ».
Qui paie mal, paie deux fois : bis repetita !