Les pièces jointes au décompte ou projet de décompte sont « précédemment fournies » au sens du CCAG-Travaux lorsqu’elles ont été transmis à la maîtrise d’œuvre, quand bien même le maître d’ouvrage n’en aurait pas été informé. Le maître d’œuvre pourrait néanmoins engager sa responsabilité contractuelle.

La Cour administrative d’appel de Marseille impose la vigilance aux acheteurs !

On sait en effet que le CCAG organise minutieusement l’expiration des relations financières entre les parties à un marché de travaux (voir article 13 du CCAG-Travaux-2009 ; voir article 12 du CCAG-Travaux-2021). Étapes, pièces justificatives et délais sont réglés comme du papier à musique. Et il est aussi facile que dangereux de s’y perdre, car l’adage contre-intuitif en droit sanctionne souvent l’expiration desdits délais : « silence vaut acceptation ».

Petits rappels pour les petits oublis !

Le titulaire envoie son décompte final. Puis le pouvoir adjudicateur-maître d’ouvrage (MO) assisté par la maîtrise d’œuvre (MOE) procèdent à l’établissement du décompte général (DG). Lequel deviendra décompte général et définitif (DGD) après acceptation du titulaire.

Quid si le MO manque à établir le DG dans le délai prévu (environ 30 jours) ? Le titulaire peut lui-même envoyer son projet de décompte général. Le MO a alors 10 jours pour s’en emparer. Il notifie à son tour le DG comme précédemment.

Si au contraire la carence du MO persiste, ce projet de décompte établi par l’entreprise devient directement le DGD du marché, parfaitement intangible.

Bien sûr, pour faire courir ces délais, les documents doivent être valablement transmis. C’est-à-dire accompagné des pièces justificatives énumérées au CCAG… À moins que ces pièces n’aient été « précédemment fournies » !

Ce qu’il faut entendre par «précédemment fournis»

En l’espèce, après une réception problématique assorties de réserves, l’entreprise titulaire d’un marché de travaux avait envoyé à la commune de Nîmes son décompte final. S’en est suivi plusieurs échanges de courriers des deux parties en désaccord. La commune opposait au titulaire l’absence de deux pièces requises à son sens par le CCAG :

  • La dernière situation de travaux et ses justificatifs
  • Un acte de sous-traitance (« DC4 ») modificatif

Passant outre, l’entreprise a considéré que le délai imparti au MO pour agir avait couru et expiré. Dès lors a-t-elle décidé d’envoyer un projet de décompte général. La commune a opposé un refus de prise en compte, sans donner d’autre suites…

Or, en réalité, le MOE avait réceptionné la première de ces pièces plusieurs mois auparavant, sans le signaler au MO. La cour considère dès lors qu’elles avaient été « précédemment transmises » au sens du CCAG-Travaux.

Peu importe si le DC4 dit autre chose

Par ailleurs, la cour a précisé un autre point. Le CCAG, certes, requiert la fourniture de la copie des demandes de paiement du sous-traitant adressées au titulaire. Pour autant, il ne prévoit pas la fourniture d’un DC4 modificatif pour le cas où le MO aurait précédemment donné son agrément pour un paiement direct supérieur au montant finalement facturé. L’absence de fourniture de DC4 modificatif ne pouvait donc pas faire obstacle à ce que le délai d’établissement du DG commence à courir. Et, par extension, à ce que l’entreprise puisse ensuite valablement transmettre son propre projet de décompte général face à l’inertie du MO.

Dans un esprit similaire, le Conseil d’État avait apporté des des précisions sur ce qu’il faut entendre par « réclamation » au sens du CCAG (voir notre article en ce sens).

La responsabilité contractuelle du maître d’œuvre : oui, mais…

La commune s’est bien entendu retournée contre son MOE. En l’espèce, la cour a toutefois retenue une responsabilité contractuelle partielle du MOE à deux égards.

D’abord, le MO avait été indirectement informé de la transmission des pièces au MOE dans le cadre de l’échange de courriers avec l’entreprise, à une date à laquelle celui-là aurait pu réagir utilement.

Ensuite, et surtout, le refus de considérer le décompte final de l’entreprise se fondait également sur l’absence de DC4 modificatif, pièce non requise par le CCAG ainsi que l’a jugé la cour, et exigence à laquelle la MOE est restée étrangère, de sorte que sa négligence n’était pas la seule à avoir pu causer la condamnation de la commune.

Références de la décision : CAA Marseille, 21 février 2022, SAS Cabinet d’études Marc Merlin, n° 19MA03870