Au lendemain de la publication de l’instruction interministérielle relative aux actes des collectivités territoriales visant à limiter ou interdire le recours aux travailleurs détachés[1], la Région des Pays de la Loire publiait le 28 avril 2017 un marché à procédure adaptée en vue de la réalisation de travaux, imposant au titulaire, dans certaines conditions, le recours à un traducteur sur le chantier. Contestant la régularité rédactionnelle de cette clause d’interprétariat, prévue à l’article 8.4 du cahier des clauses administratives particulières, la préfète de la Loire Atlantique saisit le juge administratif par référé, en violation des principes fondamentaux de la commande publique et pour détournement de pouvoir.
Sur le plan contractuel, la clause litigieuse relative aux obligations et engagements de l’entreprise en matière de responsabilité sociétale, prévoit :
- Le recours obligatoire à un interprète, aux frais du titulaire, si les personnels sur le chantier, quelle que soit leur nationalité, ne disposent pas d’une maîtrise suffisante de la langue française en compréhension de la réglementation du Code du travail (article 8.4.1 du CCAP), et d’une formation professionnelle nécessaire à l’exécution de tâches comportant des risques pour la sécurité des personnes et des biens (article 8.4.2 du CCAP) ;
- Une sanction financière pour défaut ou carence constatée d’un interprète qualifié, assortie d’une possible résiliation prononcée aux frais et risques de l’entreprise (article 8.4.3)
Sur le plan juridique, le tribunal administratif juge ces clauses tenant aux conditions d’exécution du marché de travaux, conformes à l’instruction. Leurs objectifs de protection sociale des salariés, de sécurité des travailleurs et des visiteurs sur le chantier entrent dans le champ des dispositions de l’article 38 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015. Les moyens contractuels prévus au marché ne doivent donc pas être regardés comme étant disproportionnés.
Le juge énonce « qu’en admettant qu’elles puissent restreindre la liberté d’accès à la commande publique, il ne résulte pas de l’instruction qu’elles s’appliqueraient de manière discriminatoire, ne seraient pas justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, ne seraient pas propres à garantir la réalisation des objectifs qu’elles poursuivent ou iraient au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre« [2].
En conséquence les clauses de l’article 8.4 du CCAP ne méconnaissent pas les principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats.
Quant aux sanctions pécuniaires constitutives d’un détournement de procédure portées par la requérante, le tribunal juge le moyen inopérant. Ce dernier énonce qu’il n’appartient pas au juge précontractuel de se prononcer sur le régime des pénalités contractuelles dont les dispositions sont étrangères aux obligations de publicité et de mise en concurrence[3].
Il est à noter que dans son développement, le juge n’assimile en aucun point la clause d’interprétariat à une clause dite de « Molière », visant à imposer l’usage du français par les salariés des candidats aux marchés publics. Rappelons par ailleurs, qu’ « en règle générale, une telle pratique est illégale ». En ce sens, l’instruction rappelle qu’aucune disposition du code du travail n’impose aux travailleurs détachés de parler français, alors qu’à l’inverse une obligation de traduction dans la langue officielle du travailleur détaché est obligatoire sur les grands chantiers du bâtiment[4].
Elle met ainsi un point d’honneur à éviter toute similitude entre travail détaché et travail illégal.
Dans une lignée plus prétorienne, veillons à ne pas mettre la clause de Molière et la clause d’interprétariat dans le même panier.
TA de Nantes, 7 juillet 2017, Région Pays de la Loire, n°1704447
[1] Instruction interministérielle du 27 avril 2017, relative aux délibérations et actes des collectivités territoriales imposant l’usage du français dans les conditions d’exécution des marchés.
[2] Considérant 5.
[3] Considérant 6.
[4] Cf : brève « Limitation du travail détaché, clause « Molière » : le dépit amoureux du Gouvernement » du 9 mai 2017.