Dans un récent billet, nous vous proposions de (re)découvrir le panel des responsabilités de la Maîtrise d’Œuvre dans le cadre d’un marché public (Voir notre Infographie). Si vous souhaitez un éclairage supplémentaire sur l’étendue et les limites de ces responsabilités, en particulier de la garantie décennale des constructeurs, c’est par ici ⇩ !
Deux arrêts d’appel du 11 octobre 2022 nous offrent un magnifique prétexte pour refaire un (rapide) tour d’horizon :
Champ de la décennale : « extension ! »
Le champ personnel, matériel et temporel de la garantie décennale en marchés publics est, a priori, défini par le Code civil, puisque le juge administratif se réfère aux « principes dont il s’inspire » en la matière.
Vers l’infini…
Reste que ce champ connait des extensions contractuelles (principe de liberté contractuelle oblige !) et jurisprudentielles notables. La CAA de Nancy rappelle ainsi que cette garantie couvre le dommage actuel mais aussi le dommage futur :
- Le dommage actuel est celui apparu et consolidé dans le délai d’épreuve de 10 ans.
- Le dommage futur est celui qui est apparu dans ce délai d’épreuve mais sans être alors suffisamment grave, et appelé à évoluer de manière certaine vers un vice à caractère décennal après expiration du délai.
- Il ne doit pas être confondu avec le dommage hypothétique, qui est seulement prévisible au-delà du délai d’épreuve sans jamais être certain.
…et l’au-delà !
Cette garantie s’étend également à tous les vices qui atteignent la solidité de l’ouvrage ou qui le rendent « impropre à sa destination », y compris les vices affectant des éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage lui-même lorsqu’ils ont ces effets. (Bien sûr, il parait évident qu’elle ne jouera que par exception, pour les éléments d’équipements physiquement dissociables mais fonctionnellement indispensables à l’ouvrage).
Mais jamais sans imputabilité
La CAA de Toulouse est venu pour sa part souligner qu’il ne suffit pas qu’un vice entre dans le champ d’application de la garantie pour que tout constructeur – au sens du code civil – intervenu au chantier en soit redevable. Il faut encore que ce vice lui soit « imputable ». Cela signifie que, même sans faute de sa part, c’est bien son action de conception ou de réalisation qui est à l’origine du vice. (On ne va pas embêter le plombier et son assureur pour un problème avec l’installation électrique ! Et si le carrelage éclate du jour au lendemain, c’est à l’entrepreneur qui a posé la chape-support de répondre et non au carreleur…).
Mise en œuvre de la décennale : « déception… »
Dans sa mise en œuvre pourtant, les juges nous rappellent que cette garantie est sévère pour tout le monde.
Elle est sévère pour les redevables, qui seront tenus solidairement et pour le tout alors même que le vice ne leur serait que partiellement imputable (cf. CAA Toulouse). Elle est donc sévère en particulier pour le ou les maîtres d’œuvre qui sont en pratique impliqués dans la conception de tous les lots de travaux…
Elle est sévère pour le maître d’ouvrage puisque le caractère décennal du vice est difficile à démontrer. Dans l’espèce devant la Cour de Nancy, un système de plancher chauffant dans une église présentait des inconvénients du type affaissement et déformations des panneaux ainsi que perte de chaleur (« production faible puis absente ») : la cour a néanmoins jugé que l’église n’était pas rendue impropre à sa destination. Dans l’espère devant la Cour de Toulouse, un problème d’étanchéité affectait le système de traitement et de climatisation de l’air en milieu hospitalier, ce qui occasionnait surconsommation d’énergie et problèmes de température et d’humidité : la cour a néanmoins jugé que l’ouvrage n’était pas rendu impropre à sa destination parce que… les services techniques de l’hôpital s’étaient adaptés en changeant les vannes défectueuses !
Rappelons que face à une telle sévérité, le devoir de conseil du maître d’œuvre peut venir prendre le relai et permettre eu maître d’ouvrage de lui faire assumer ses responsabilités autrement… (cf. CAA Toulouse).