Entreprises : le mandataire de l’acheteur vous doit-il des comptes ? Ou pour le dire autrement, l’inexécution de son contrat de mandat vous permet-il d’engager sa responsabilité, et si oui à quelles conditions ?
Le titulaire d’un marché de fournitures résilié à ses frais et risques présente un mémoire en réclamation au mandataire de l’acheteur. À défaut de réponse de sa part, le titulaire recherche sa responsabilité, et pour cela s’engage sur le terrain de la responsabilité contractuelle. Sa requête va finalement être déclarée irrecevable au regard du terrain de responsabilité choisi. Ouvrant alors la question de savoir : mais si le terrain avait été le bon, quelle aurait été la faute ?
La cause juridique : l’arbre cachant la forêt
Cette décision permet d’aborder une notion trop souvent éludée dans le conseil aux opérationnels mais néanmoins capitale : la recevabilité de la requête introduisant le recours contentieux !
En effet, introduire un recours contre une personne demande le respect de règles procédurales de fond et de forme pouvant différer selon l’objet de celui-ci.
Exemple : dans un contentieux tenant au décompte général, il est nécessaire (sauf stipulation contraire) que le requérant produise un mémoire en réclamation dont le rejet par l’acheteur fera naître un socle au contentieux (voir en ce sens : Une réclamation portée par un membre non mandataire est-elle valable ?) sous peine d’irrecevabilité.
Or, dans l’affaire qui nous intéresse aujourd’hui, le problème se situe le choix de la cause juridique sur laquelle la requête du requérant s’appuie.
🔍 Petit point définition 🔍 : La cause juridique est la base juridique de la requête sur laquelle le requérant va greffer des moyens (des arguments) pour justifier sa demande. Par exemple, sur quel fondement de responsabilité le requérant décide d’attaquer le défendeur pour lui demander réparation de son litige.
Ainsi, le juge rappelle le considérant de principe du Conseil d’Etat affirmant :
- L’impossibilité d’engager la responsabilité contractuelle d’un mandataire d’un maitre d’ouvrage (MOA) dans l’exercice des attributions du contrat de mandat auquel l’entreprise n’est pas partie.
- Qu’il est néanmoins possible d’engager la responsabilité extracontractuelle du mandataire.
Ah ! Suffisait-il de bien choisir ses mots ?
La responsabilité directe du mandataire : uniquement pour des fautes hors contrat de mandat
En réalité, le Conseil d’État a de jurisprudence constante « mis un gros stop » à la théorie de l’équivalence entre les fautes contractuelles et délictuelles. Quézako ?
Le juge judiciaire permet, dans notre cas, à l’entreprise victime de l’inexécution d’un contrat auquel elle n’est pas partie de demander des comptes aux parties : une faute contractuelle vis-à-vis de son cocontractant est automatiquement une faute délictuelle vis-à-vis d’autrui qui, si elle lui a causé un préjudice, engage sa responsabilité (Cour de Cassation, Assemblée plénière, 6 octobre 2006, Boot Shop, 05-13.255, Publié au bulletin).
Pour sa part, le juge administratif exige la preuve d’une faute autonome, qui ne résume pas à la simple violation d’un contrat, poussant à son paroxysme le principe de l’effet relatif des contrats. Cette jurisprudence « Mme Gilles » (CE, Section, 11 juillet 2011, req. n°339409) a récemment été réaffirmée, quoique nuancée mais pas dans une mesure qui intéresserait notre entreprise :
« Dans le cadre d’un litige né de l’exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité (…) des autres participants (…) avec lesquels il n’est lié par aucun contrat (…). Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d’un manquement aux stipulations des contrats qu’ils ont conclus avec le maître d’ouvrage » (CE, 11 octobre 2021, Société CMEG, req. n°438872, Publié).
C’est ainsi qu’en l’espèce le juge administratif nîmois retient que s’il est possible d’engager la responsabilité directe du mandataire, cela ne vaudrait que pour des fautes commises en-dehors du champ du contrat de mandat le liant le maître d’ouvrage.
Soyez attentives, mesdames les entreprises, à bien caractériser la faute !
TA de Nîmes, 2ème Chambre, 4 avril 2024, n°2101172
(avec l’aimable contribution de Justine LAUER)