« L’enfer c’est les autres[1] » ou comment un cotraitant peut semer la zizanie en se retirant d’un groupement momentané d’entreprises en cours d’exécution d’un marché public… La décision du Conseil d’Etat en date du 16 mai 2022 précise à quelles conditions un cotraitant démissionnaire peut être remplacé par voie d’avenant.

En l’espèce, le cotraitant d’un groupement d’entreprises a décidé de résilier le marché public – uniquement en ce qui le concerne – en application de l’une des clauses du contrat.

Pour pallier son départ, l’acheteur et le mandataire du groupement d’entreprises ont conclu un avenant afin de substituer un nouveau cotraitant à l’entreprise démissionnaire.

Mais… une entreprise tierce à l’opération (et au groupement d’entreprises) a contesté l’avenant et a porté l’affaire jusque devant le Conseil d’Etat.

Il convenait de déterminer si l’acheteur pouvait valablement autoriser la substitution d’un cocontractant par voie d’avenant.

Pour apprécier la légalité de ce changement de cotraitant, le Conseil d’Etat a passé spécifiquement deux dispositions du Code de la commande publique (CCP) au crible :

  • L’une traitant des différents cas de figure où un acheteur peut remplacer le titulaire initial (R.2194-6 du CCP).
  • L’autre permettant une modification du contrat en cas de circonstances imprévues qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir (R.2194-5 du CCP).

La substitution d’un titulaire fondée sur l’article R.2194-6 : des hypothèses si limitatives ?

L’article R.2194-6 du CCP dispose qu’un marché peut être modifié lorsqu’un nouveau titulaire se substitue au titulaire initial du marché, dans l’un des cas suivants :

  • En application d’une clause de réexamen ou d’une option conformément aux dispositions de l’article R. 2194-1 ;
  • Dans le cas d’une cession du marché, à la suite d’une opération de restructuration du titulaire initial, à condition que cette cession n’entraîne pas d’autres modifications substantielles et ne soit pas effectuée dans le but de soustraire le marché aux obligations de publicité et de mise en concurrence (…).

Le Conseil d’Etat précise que le changement de titulaire ne pouvait avoir lieu que dans les cas et conditions prévus par cet article.

Or, la modification du contrat n’a pas eu lieu en application d’une clause de réexamen ou d’une option et  n’est pas intervenue à la suite d’une opération de restructuration de l’entreprise.

De ce fait, le changement de cotraitant ne pouvait valablement être fondé sur l’article R.2194-6 du CCP.

La résiliation du contrat par un cotraitant : une circonstance qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir ?

L’article R.2194-5 du CCP précise que « Le marché peut être modifié lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir ».

Le Conseil d’Etat relève que « la décision de cette société de se retirer du groupement, qui met en œuvre une clause de résiliation prévue par le contrat lui-même, ne peut être regardée comme constituant une circonstance qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir au sens des dispositions de l’article R. 2194-5 du code de la commande publique ».

Autrement dit, un acheteur diligent doit être conscient que le(s) cocontractant(s) sont susceptible(s) d’activer à un moment ou à un autre les clauses du contrat, dont celle(s) de résiliation

En résumé, le changement du cotraitant devait être précédé d’une procédure de publicité et de mise en concurrence !

CE, 16 mai 2022, n°459408

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[1] Sartres J.P, « Huis clos », 1943.