La cotraitance, aussi appelée groupement d’opérateurs économiques, ou groupement momentané d’entreprises (GME) se matérialise par un groupement de plusieurs entreprises pour répondre à un même lot ou un même marché global donné.

Par exemple,

Une consultation pour un marché de maîtrise d’œuvre, non alloti, reçoit la candidature d’un groupement G comprenant un architecte A, un bureau d’études BE, et un économiste de la construction ECO.

Il s’agit d’une cotraitance.

En revanche, ne forment pas un groupement d’entreprises dans le cadre d’une opération de travaux l’entreprise de gros œuvre ayant remporté le lot gros œuvre, l’entreprise de plomberie ayant remporté le lot plomberie, l’entreprise d’électricité ayant remporté le lot électricité.

Il s’agit de trois titulaires individuels de trois marchés distincts !

La cotraitance est un droit pour les entreprises aux termes des articles R.2142-19 et suivants du Code de la Commande Publique (CCP).

Ce qui implique trois choses.

Le droit pour l’entreprise de se grouper et ses implications

L’entreprise a le droit de se grouper (1).

Cette voie permettra en effet à un opérateur économique de soumissionner à un marché public auquel il n’aurait pu avoir accès sinon, par le biais d’une candidature individuelle.

Par exemple, par manque de disponibilité, manque de compétences ou manque de moyens (financiers, humains, matériels).

Mais l’entreprise a aussi le droit de ne pas se grouper ! (2)

Le principe fondamental de libre-accès à la commande publique irrigue tout le droit des marchés et des concessions. Or, il est impossible d’exclure la possibilité qu’une entreprise qui souhaiterait, elle, se grouper, ne trouve aucun partenaire enclin à coopérer avec elle. « Personne ne veut jouer à la balle avec moi ! »

Par exemple, une petite PME qui serait regardée par ses plus gros concurrents comme devant apporter peu mais profiter beaucoup en cas de mise en commun des moyens : quel serait leur intérêt de partager les bénéfices avec elle ?

Dès lors, il n’est pas possible à l’acheteur d’imposer le groupement d’entreprises.

De même, l’article R.2142-22 du CCP affirme que « l’acheteur ne peut exiger que le groupement d’opérateur économiques ait une forme juridique déterminée », en principe. Car enfin, l’entreprise a le droit de choisir la forme de son groupement (3).

Qu’entend-t-on par « forme » ? Nous le verrons.

Précisons déjà que le Code ajoute immédiatement que l’acheteur peut exceptionnellement imposer une forme de groupement, à deux conditions :

  • une condition de fond, « dans la mesure où cela est nécessaire » à la bonne exécution du marché public ;
  • et une condition de formalisme, à savoir qu’il doit faire apparaître ses justifications dans les documents de la consultation (le Règlement de consultation, par exemple).

Même dans cette hypothèse, cette exigence ne peut prendre effet et le groupement ne peut être tenu de se transformer qu’« après l’attribution du marché » (article R.2142-22 CCP précité ; QE 12 octobre 2017, n°00829).

L’absence de personnalité juridique

Le groupement s’appuie sur une convention de groupement.

Pour autant, il n’acquiert pas la personnalité juridique.

Il ne faut pas s’y tromper, car il est vrai que le Conseil d’État assimile la modification de la composition du groupement à un changement de titulaire en cours d’exécution (voir notre article).

Mais contrairement au sous-traitant, le cotraitant ne connait pas d’intermédiaire entre lui et le maître d’ouvrage (MO). Chaque cotraitant est en lien contractuel direct avec le MO : il peut invoquer un manquement contractuel du MO ; il est responsable devant le MO de la bonne exécution « du » contrat.

Mais de quel contrat parle-t-on ?

En réalité, il faudrait plutôt parler d’obligations contractuelles, car si le contrat est un, il existe une pluralité d’obligations dont chacun des cotraitants sera ou non débiteur, seul ou conjointement avec ses partenaires. Et c’est là que la distinction entre plusieurs formes de groupement devient cruciale !

Les différentes formes de groupement

L’article R.2142-20 du CCP définit le groupement conjoint et le groupement solidaire, ce à quoi il faut ajouter le mandataire solidaire évoqué par l’article R.2142-24 du CCP.

Le groupement conjoint (sans mandataire solidaire) est moins sécurisant pour l’acheteur, car il correspond au cas où chaque entreprise est responsable de « sa » partie, selon la répartition technique et financière qui aura été actée dans les pièces du marché (l’annexe à l’AE, le mémoire technique, etc…).

Par exemple, dans le groupement de maîtrise d’œuvre G, le maître d’ouvrage ne pourra pas demander à l’architecte A réparation pour une erreur de diagnostic du bureau d’études BE ou pour une erreur de chiffrage de l’économiste ECO.

De même, il devra demander réparation à BE pour sa partie, et réparation à ECO pour sa partie, ce qui demande plus de formalisme, plus de temps peut-être, et multiplie les risques d’insolvabilité.

Avantages, cela étant : ce type de groupement n’implique aucun surcoût et favorise également l’accès des PME aux marchés publics[1].

Le groupement solidaire constitue la forme de cotraitance juridiquement la plus sécurisante pour le maître d’ouvrage : en cas de défaillance, il pourra se retourner contre n’importe lequel des membres du groupement (notamment, vers le plus solvable…).

À charge ensuite pour chacun d’obtenir remboursement de ses pairs à proportion de leurs fautes respectives.

Par exemple, dans le groupement de maîtrise d’œuvre G, A peut être condamné à réparer le préjudice du maître d’ouvrage même si celui-ci a été causé par la faute de BE (erreur de diagnostic) et la faute de ECO (erreur de chiffrage). Ensuite, A devra intenter une action contre BE puis contre ECO pour récupérer les sommes qu’il aura ainsi « avancées ».

Inconvénients : la solidarité implique évidemment un surcoût pour la collectivité. De plus, bien que cela soit juridiquement possible, il est délicat d’imposer une solidarité lorsque des entreprises aux capacités financières incomparables sont susceptibles de répondre.

La solidarité sera :

  • technique et financière lorsque les cotraitants appartiennent au même corps d’état, auquel cas s’il y a défaillance de l’un des membres, les autres réaliseront eux-mêmes les prestations ou seront condamnés à payer ;
  • financière uniquement lorsque des corps de métier différents s’associent, auquel cas les membres solidaires supporteront le coût de l’intervention d’un prestataire extérieur (sous-traitant, frais et risques…) ou seront condamnés à payer.

Par exemple, si un marché global estimé à 5 millions d’euros comprend un « lot » technique de gros œuvre estimé à 900 000€ et un « lot » technique de ferronnerie d’art estimé à 30 000€…

Le mandataire solidaire permet d’offrir une troisième voie au maître d’ouvrage. Lui seul assume la responsabilité financière en cas de défaillance de l’un des cotraitants, jusqu’à l’expiration du délai de garantie de parfait achèvement[2].

Par exemple, dans le groupement de maîtrise d’œuvre G, si le maître d’ouvrage subit un préjudice du fait d’une erreur de diagnostic de BE, il peut rechercher la responsabilité de BE, auteur du dommage, ou de A, mandataire solidaire ; en revanche ECO, étranger à l’affaire, ne pourra pas voir sa responsabilité engagée.

Un mandataire solidaire n’a évidemment de sens que dans le cadre d’un groupement conjoint. Ensemble, ils constituent la forme de cotraitance la plus répandue du fait d’un équilibre acceptable entre le surcoût généré, la sécurisation obtenue, et l’accès des PME à la commande publique.

La désignation d’un mandataire au sein du groupement permet de plus à la personne publique d’avoir un interlocuteur exclusif, qui agira au nom et pour le compte des autres cotraitants, qui coordonnera les prestations du groupement, qui sera en quelque sorte son « guichet unique ».


[1] Rép. Min. n°34523 publiée au JOAN du 28 août 2000

[2] Solution prévue par les articles 3.5 et 44.1 du CCAG travaux. Pour une illustration sous l’empire du CCAG précédent : Conseil d’État, 6 juillet 2005, Sté bourbonnaise de TP et de construction, Sté Grands travaux de l’Océan indien, n° 259801.