Une entreprise titulaire d’un lot de marché peut-elle invoquer une faute de l’acheteur dans son appréciation des candidatures et des offres… sur un autre lot ?!

Le point de départ de cette question audacieuse tient dans l’existence d’un retard de chantier qui a préjudicié à l’entreprise titulaire d’un lot de marché « voirie et réseaux divers ». Dans l’affaire portée devant la cour administrative d’appel de Toulouse, le titulaire du lot « gros œuvre » n’avait pas su tenir ses délais d’exécution ce qui avait occasionné un retard général dans l’exécution des travaux.

L’une des autres entreprises intervenantes avait alors agi en indemnisation de ses préjudices contre ce dernier, mais aussi contre le maître d’ouvrage en lui reprochant diverses fautes.

Une faute de direction des travaux, tout d’abord, rapidement rejetée par les premiers juges comme par le juge d’appel, dans la mesure où il est établi que le maître d’ouvrage a procédé aux rappels à l’ordre qui s’imposaient.

Mais aussi – et c’est là tout le sel de l’affaire ! – une faute dans le choix même de l’entreprise… C’est donc une faute au stade de la passation qui est reprochée, comme ayant causé un préjudice au stade de l’exécution. Rien que ça ! Et une faute d’appréciation, s’il vous plaît. Or l’on sait que le contrôle des juges sur l’appréciation des acheteurs se limite généralement à l’erreur manifeste d’appréciation.

C’est pourtant à l’issue d’un contrôle très concret, voire poussé, que la cour administrative d’appel va conclure à la faute du maître d’ouvrage.

Elle relève tout d’abord une faute dans le choix d’admettre la candidature même de l’entreprise, dans la mesure où sa capacité à exécuter le marché semblait insuffisante :

  • Alors que l’acheteur estimait son marché à environ 1,2 millions d’euros, les trois derniers chiffres d’affaires de l’entreprise dépassait à peine 40% de ce montant : « la société (…) a indiqué dans sa candidature avoir réalisé seulement 231 459 euros de chiffre d’affaires en 2009, 418 340 euros en 2010, et 482 858 euros en 2011 ».
  • De plus, « elle pouvait mobiliser seulement un effectif de huit salariés » tandis que ses concurrentes proposaient toutes entre 18 et 43 salariés.

Mais c’est surtout au stade du choix des offres que le contrôle du juge surprend, qui relève que l’acheteur est en tort d’avoir eu recours à la procédure négociée qui a conduit à retenir l’offre critiquée, dans la mesure où il s’est fondée sur le caractère inacceptable des offres… mais n’est pas en mesure de le prouver !, et alors même que l’offre finalement retenue se trouvait classée, dans l’appel d’offres initial déclaré infructueux, seulement 6e sur 7 candidats.

Pour mémoire lorsqu’une procédure quelle qu’elle soit s’avère infructueuse, on distingue selon la cause d’infructuosité : face à une absence d’offre ou à des offres inappropriées (hors-sujet), l’acheteur peut passer le même marché de gré à gré ; face à des offres irrégulières et/ou inacceptables, l’acheteur peut seulement, s’il le souhaite, relancer son appel d’offres sous forme de procédure avec négociation ou dialogue compétitif.

Le maître d’ouvrage manque à rapporter la preuve du caractère inacceptable des offres à partir de sa seule estimation, largement dépassée en l’espèce (de 43 à 119% de dépassement !), argumentation rigoureuse du juge qui fait d’ailleurs écho au rappel de la cour administrative de Bordeaux concernant la définition d’une offre inacceptable (Voir notre billet « Quand une offre inacceptable doit être enterrée « six pieds sous terre » »). En effet, la preuve du caractère inacceptable doit se rapporter, par exemple, avec un document budgétaire à l’appui.

Au terme de ce raisonnement, le maître d’ouvrage est en l’espèce reconnu fautif dans le choix-même d’une autre entreprise intervenante sur le chantier, et donc partiellement à l’origine du préjudice née du retard de ce même chantier à l’égard de la société requérante…

CAA Toulouse, 13 juin 2023, n° 20TL01906