Dans un précédent billet, nous vous parlions de ce pouvoir boudé et pourtant d’ordre public[1] des personnes publiques : la modification unilatérale du contrat dans l’intérêt général ! (voir notre article « Concessions, modifications, indemnisation ! »).
Ce pouvoir de modification peut être exercé pour tout motif d’intérêt général, sans que le cocontractant ne puisse s’y opposer, engageant même sa responsabilité contractuelle s’il refuse d’exécuter le contrat tel que modifié, mais disposant tout de même d’un droit au maintien de l’équilibre financier initial.
Le Conseil d’État le rappelle en ces mêmes termes :
« En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique contractante peut unilatéralement apporter des modifications à un tel contrat dans l’intérêt général, son cocontractant étant tenu de respecter les obligations qui lui incombent en vertu du contrat ainsi modifié tout en ayant droit au maintien de l’équilibre financier du contrat ».
Mais le plus intéressant reste à venir !
La personne publique peut (et même devrait…) se servir de ce pouvoir pour purger le contrat d’une clause entachée d’illégalité. Cela pour éviter de le résilier, étant rappelé qu’une résiliation motivée par l’irrégularité de la procédure d’attribution du contrat ne permet pas à l’acheteur d’échapper à sa responsabilité vis-à-vis de l’entreprise titulaire (voir notre billet « Fautive, la résiliation pour corriger une mauvaise mise en concurrence ? »).
Mais qu’en est-il lorsque la clause est indivisible ? Et qu’est-ce qu’une clause indivisible, d’ailleurs ? La clause indivisible est celle qui a été déterminante du consentement des parties, essentielle, notamment parce qu’elle fait corps avec l’objet du contrat et participe à sa définition-même. (Exemple : clause d’option d’achat dans un marché de location de fournitures).
Lorsqu’une clause indivisible est illégale, la personne publique ne peut plus user de son pouvoir de modification unilatérale mais peut seulement (doit…) faire usage de son pouvoir de résiliation unilatérale.
… « sous réserve de l’exigence de loyauté des relations contractuelles », ajoute le Conseil d’État.
En d’autres termes, même illégal, un contrat ne devrait pas pouvoir être résilié ? Minute, papillon ! La formule exacte employée nous amène plutôt à penser que si l’exigence de loyauté des relations contractuelles est en jeu, la résiliation ou toute autre mesure corrective ne pourra être prononcée que par le juge :
« Si la clause n’est pas divisible du reste du contrat et que l’irrégularité qui entache le contrat est d’une gravité telle que, s’il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l’annulation ou la résiliation, la personne publique peut, sous réserve de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans qu’il soit besoin qu’elle saisisse au préalable le juge ».
Si la clause est divisible en revanche, la personne publique peut-elle invoquer l’irrégularité du contrat pour le laisser inappliqué, ou est-elle tenue d’en faire usage ? En refusant d’utiliser son pouvoir de modification unilatérale pour purger le contrat, commet-elle une faute à l’égard de son cocontractant ? Malheureusement l’arrêt laisse cette question en suspens en renvoyant l’affaire devant le juge des référés de la cour administrative d’appel…
[1] CE, Sect., 2 février 1983, Union des transports publics, n° 34027