Le sous-traitant non déclaré peut-il s’en plaindre ? Ou pour le dire autrement, peut-il invoquer un préjudice et se prévaloir de la responsabilité du maître d’ouvrage pour en obtenir l’indemnisation ?
Gonflé, nous direz-vous !
Et pourtant il est vrai que la loi du 31 décembre 1975 aujourd’hui codifiée prévoit bien l’obligation pour le maître d’ouvrage (MO) de régulariser la situation de sous-traitance non déclarée dont il a connaissance… (sur les outils à sa disposition, voir notre article).
Pour rentrer un petit peu dans les détails de l’histoire, la cour administrative d’appel de Toulouse devait connaître de la demande de M. A… (que nous appellerons M. Ambiguïté). Dans le cadre d’un marché de maîtrise d’œuvre, l’acheteur avait retenu la société BM Ingénierie qui présentait une équipe composée de plusieurs consultants. Parmi ces consultants, Monsieur Ambiguïté. Mais arrivé en fin de marché, face à la défaillance du titulaire, ce Monsieur s’est prévalu de sa qualité de sous-traitant pour réclamer le solde de 21 500€ au maître d’ouvrage :
- soit au titre du droit au paiement direct ;
- soit, à défaut, au titre de la faute du MO qui n’avait pas régularisé sa prétendue situation de sous-traitant…
Le 1er moyen est facilement écarté, puisque n’a droit au paiement direct que le sous-traitant qui a été agréé par le maître d’ouvrage antérieurement à la date des travaux. Or, M. Ambiguïté avait bien été présenté pour agrément mais seulement en cours de marché, et ne peut donc pas obtenir le paiement direct des prestations qu’il a réalisées plus tôt.
Concernant ces prestations, et sur le 2nd moyen, le juge concède que le MO peut engager sa responsabilité en ne poursuivant pas la régularisation des situations de sous-traitance. Il rappelle cependant que :
« Cette responsabilité du maître de l’ouvrage est toutefois atténuée par les fautes commises tant par le titulaire du marché, en ne soumettant pas le sous-traitant à l’agrément du maître d’ouvrage, que par le sous-traitant lui-même, à qui il appartenait de demander la régularisation de la situation »[1].
Mais en réalité, son appréciation de l’affaire ne va pas jusqu’à chercher si oui ou non M. Ambiguïté aurait contribué à son propre préjudice, puisqu’il s’arrête en amont, à l’orée du bois de la faute du maître d’ouvrage.
En somme, il relève que les circonstances de l’intervention de Monsieur Ambiguïté ont entretenu toute l’ambiguïté, justement, autour de son statut :
- il était présenté dans l’offre comme un simple membre de la société BM Ingénierie, « concepteur routier et responsable d’étude faisant partie de la société » ;
- au cours de l’exécution, il figurait au nombre des membres de l’équipe de la société dans les procès-verbaux des réunions techniques ;
- et ses échanges directs par courriels avec le MO, ses courriels fussent-ils estampillés de son propre logo, ne portaient pas à la connaissance du MO sa qualité de sous-traitant.
« Dès lors, (l’acheteur) pouvait légitimement penser que M. A… intervenait en tant que membre de l’équipe de la société BM Ingénierie et non en qualité de sous-traitant ou de membre d’un groupement de fait irrégulier ».
Échec et mat.
CAA Toulouse, 5 décembre 2023, n° 22TL00572
[1] Nous serions presque dans les clous de l’adage « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude », mais en réalité cet adage ne s’applique pas du tout de façon générale ; il n’a de portée que dans le cadre des restitutions suite à l’annulation d’un contrat pour cause illicite… Aussi, usons-en avec parcimonie ! 🙂