Décompte et résiliation : la valse à 1000 temps

Décompte et résiliation : la valse à 1000 temps

Dans un arrêt du 19 novembre 2024, la CAA de Toulouse est venu repréciser l’articulation entre procédure de résiliation de marché et procédure d’établissement d’un décompte travaux.

On ne se lasse pas de le répéter : le solde d’un marché de travaux est une étape réglée comme du papier à musique par le CCAG-Travaux, impliquant entreprise, maître d’ouvrage et maître d’œuvre avec des rôles successifs bien spécifiques et réservant des petits noms différents pour une même pièce-ou-presque à chaque étape (pour plus de détails, voir notre article) ; le décompte général est la dernière étape avant l’établissement du décompte général et définitif (D.G.D.), devenu définitif soit via la signature par l’entreprise, soit via l’absence de réaction de sa part dans des formes bien spécifiques.

Lorsque tout va bien, la procédure démarre avec l’envoi du projet de décompte final par le titulaire, à défaut de quoi le maître d’ouvrage peut, après mise en demeure, établir d’office le décompte général.

Cependant, lorsque tout ne va pas bien et que le marché a fait l’objet d’une résiliation, le CCAG-Travaux prévoit que le décompte de résiliation joue le rôle du décompte général. Dans ce cas de figure, il est prévu que le maître d’ouvrage a l’initiative de l’envoi du décompte. (Le titulaire pouvant ensuite en contester le contenu.)

Par conséquent, la cour vient clarifier le point suivant : « l’établissement du décompte général d’un marché par le maître d’ouvrage n’est pas nécessairement subordonné à l’envoi préalable d’une mise en demeure au titulaire afin qu’il établisse le décompte de son marché, une telle procédure ne trouvant à s’appliquer qu’en cas de carence du titulaire dans la transmission de son projet de décompte final, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ».

Mais alors, que se passe-t-il si le maître d’ouvrage n’envoie pas le décompte de résiliation dans le délai imparti, à savoir 2 mois à compter du procès-verbal des opérations de liquidation (= réception de travaux inachevés, en cas de résiliation) ?

La cour vient là aussi clarifier ce point, soulignant que le CCAG-Travaux prévoit seulement que cette carence met le titulaire en mesure d’adresser une mise en demeure puis de saisir le Tribunal administratif pour que ce dernier « fasse bouger les choses ». La carence n’a donc pas pour effet de rendre invalide le décompte de résiliation notifié en retard. Aussi, le décompte de résiliation notifié hors délai conserve sa portée et implique que le titulaire s’expose à le voir devenir définitif s’il ne le conteste pas.

D’ailleurs, la cour prend aussi la peine de rappeler qu’un décompte ne se conteste pas « n’importe comment » ni « n’importe quand ».

La contestation du décompte doit passer par la voie précontentieuse du mémoire en réclamation. Un mémoire en réclamation, pour valablement faire obstacle à la naissance d’un D.G.D., doit respecter certaines règles. Il doit notamment comporter l’énoncé d’un différend ; exposer, de façon précise et détaillée, les points contestés ; indiquer les montants des sommes demandées ; ainsi que les motifs de chacune des demandes. « Si ces éléments ainsi que les justifications nécessaires peuvent figurer dans un document joint au mémoire, celui-ci ne peut pas être regardé comme une réclamation lorsque le titulaire se borne à se référer à un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d’œuvre sans le joindre à son mémoire. »

En l’espèce, l’entreprise s’était référé à des courriers antérieurs mais sans en joindre une copie au mémoire (ce qui aurait eu pour effet d’en valider le statut de réclamation…).

Dans tous les cas, le juge note également que le courrier de contestation du décompte du 30 octobre 2019 a été reçu par le maître d’ouvrage le 12 novembre suivant. Or, le CCAG-Travaux prévoit que le mémoire doit être « transmis » dans un délai de 30 jours. Et par transmission, il faut entendre réception ! Ainsi l’entreprise « disposait d’un délai, non franc, de trente jours, expirant le 4 novembre 2019, pour transmettre un mémoire en réclamation au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresser une copie au maître d’œuvre dans le même délai ».

Echec critique !

CAA Toulouse, 3ème Chambre, 19 novembre 2024, 22TL21726