A l’autonome dernier, nous vous informions de la décision du Conseil d’Etat par laquelle celui-ci précisait que l’acheteur ne pouvait pas écarter un dépôt « hors délai » dès lors que le retard était imputable à un dysfonctionnement du profil d’acheteur et que le candidat avait accompli l’ensemble des diligences nécessaires en temps utile (Voir notre article: Quelles solutions en cas d’indisponibilité du profil d’acheteur?).
A mille lieues de la stricte rédaction de l’article R.2151-5 du Code de la commande publique qui dispose sans l’once d’un tempérament que « les offres reçues hors délai sont éliminées », la décision du Conseil d’Etat invita ainsi les acheteurs à porter une délicate appréciation sur le caractère recevable ou non d’une offre hors délai.
Si l’esprit de la nouvelle règle posée par les juges du Palais Royal se comprend de par sa finalité, sa mise en pratique peut toutefois s’avérer délicate. Les acheteurs ne disposent en effet d’aucun précédent jurisprudentiel, ni d’unité de mesure auxquels se référer afin d’évaluer le caractère utile ou non du délai observé par l’entreprise.
La parole a donc été donnée à la jurisprudence pour que cette dernière puisse illustrer la notion de « temps utile ».
C’est dans cette optique que le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a apporté l’une des premières pierres à l’édifice. Par une ordonnance en date du 24 mars 2022, le juge s’est en effet prononcé à ce sujet en apportant des éléments de réflexion et des indices permettant d’apprécier cette notion.
Un bref rappel des faits…
Un acheteur a lancé une consultation dont la date et l’heure limites de réception des offres (DLRO) étaient fixées le 18 février 2022 à 12H00.
Une entreprise a démarré le téléchargement de son pli aux alentours de 9H30, soit moins de 2h30 avant l’expiration de la DLRO. Néanmoins, le téléchargement effectif de son pli ne s’est achevé qu’à 13H06, soit postérieurement à l’heure limite de réception des offres.
L’entreprise reprochait à l’acheteur d’avoir écarté son pli comme étant hors délai. En effet, cette dernière soutenait que ce téléchargement tardif était imputable à un dysfonctionnement du profil d’acheteur.
Une notion de temps utile appréciée à l’aune des conditions générales d’utilisation de la plateforme
Pouvions-nous réellement considérer que l’entreprise avait accompli ses démarches « en temps utile » seulement 2h30 avant l’échéance ?
Le juge répond à cette question par la négative et rejette la requête de l’entreprise.
Pour confirmer la position de l’acheteur, la juridiction s’est fondée sur des considérations particulièrement intéressantes et éclairantes sur l’interprétation à donner à la notion de « temps utile ».
A cet égard, le juge relève que « les conditions générales d’utilisation du profil d’acheteur, annexées au Règlement de la consultation, informaient les entreprises de la nécessité d’effectuer le dépôt effectif de leur dossier au minimum 24 heures avant l’expiration de la DLRO et conseillaient, par précaution, de le transmettre 48H00 avant l’échéance ».
Or, en ne débutant le téléchargement de son offre que « 2h30 avant l’expiration de l’heure limite », l’entreprise « ne peut être regardée comme ayant accompli en temps utile les diligences normales attendues d’un candidat pour le téléchargement de son offre, ayant été dûment informée de la nécessité technique de transmettre le dossier la veille ».
Ainsi, il ressort de cette ordonnance que l’entreprise qui a été dûment informée des CGU de la plateforme (qu’elle a acceptées!) stipulant que le dépôt devait être réalisé au plus tard la veille de la DLRO, ne saurait se prévaloir d’une défaillance du profil d’acheteur le jour de l’échéance…
Cette position constitue une illustration, parmi tant d’autres, du célèbre adage selon lequel Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ou, pour les puristes : Nemo auditur propriam turpitudinem allegans…
Tribunal administratif de Clermont-Ferrand, ord. du 24 mars 2022, n°2200606.