Loi ELAN : la compétence de la CAO est-elle réduite à peau de chagrin ?

Loi ELAN : la compétence de la CAO est-elle réduite à peau de chagrin ?

 

Dernier brame pour la loi ELAN publiée au journal officiel du 24 novembre 2018.

Mesure tant réclamée par les acheteurs : la reformulation de l’article L. 1414-2 du CGCT est enfin arrivée, pour le meilleur, mais aussi pour le pire…

L’ancienne formulation du CGCT était sujette à interprétation quant au périmètre d’intervention de la CAO

Souvenez-vous, ce texte auquel renvoi l’article 101 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, explicite les règles de saisine obligatoire de la CAO pour le choix de l’attributaire.

Initialement, le texte disposait que la CAO devait être saisie « pour tous les marchés publics dont la valeur estimée HT est égale ou supérieure aux seuils européens (…) ».

L’ambigüité portait donc sur le fait de savoir :

  • s’il fallait avoir une lecture littérale du texte, en considérant uniquement le montant du marché en faisant fi du type de procédure ;
  • ou s’il fallait l’interpréter comme imposant la réunion de la CAO uniquement pour les procédures formalisées.

Cette situation n’était pas sans poser de problèmes, notamment pour les marchés qui dépassaient ce montant, mais qui n’étaient pas pour autant passés en procédure formalisée.

Pensons notamment aux concours restreints de maîtrise d’œuvre, mais également aux services sociaux et autres services spécifiques.

 

La DAJ avait pris position sur la question en interprétant le texte comme ayant « pour objet de circonscrire le champ d’intervention de la commission d’appel d’offres aux seuls marchés publics passés en application desdites procédures formalisées« [1].

Elle en déduisait donc que seuls les marchés passés en application d’une des procédures formalisées devaient obligatoirement être attribués en commission[2].

La nouvelle formulation du texte lève cette ambigüité.

Le texte fait à présent explicitement mention aux « marchés passés selon une procédure formalisée dont la valeur estimée […] est égale ou supérieure aux seuils européens« [3].

Le texte consacre donc la vision de la DAJ et lie désormais l’intervention de la CAO aux procédures formalisées.

Elle en fait pour autant naître une nouvelle, encore plus déstabilisante…

En effet, le nouvel article L. 1414-2 fait mention des marchés « dont la valeur estimée hors taxe prise individuellement est égale ou supérieure aux seuils européens ».

Le débat fait donc rage car certains observateurs lisent dans cette formulation le fait que le montant doit s’estimer lot par lot et non plus globalement comme cela était auparavant le cas.

Adopter ce point de vue mène nécessairement à la conclusion selon laquelle la commission d’appel d’offres perd considérablement en capacité d’intervention.

Les travaux préparatoires du texte laissent toutefois entrevoir que le but était de clarifier le texte, et non de redéfinir le champ d’intervention de la CAO

Nous ne partageons pas le point de vue ci-avant exposé.

Pour l’expliquer, il va falloir se plonger dans une source du droit, trop souvent et à tort négligée : les travaux préparatoires de la loi[4][5].

En effet, quoi de mieux pour cerner l’intention du législateur que de consulter les débats qui ont mené à l’adoption du texte final?

  • Le rapport de l’Assemblée Nationale[6] nous aide dans un premier temps à cerner l’intention du législateur puisqu’il est fait état des deux interprétations possibles du texte[7]. L’Assemblée tranche ensuite en exposant que c’est l’interprétation liant intervention de la CAO à la procédure formalisée qui doit prévaloir[8].
  • Le rapport du Sénat quant à lui[9] va plus loin dans le raisonnement en citant un jugement du TA de Nantes qui remet en cause l’interprétation du texte proposé par la DAJ et repris à son compte par l’Assemblée.

 

C’est dans cet optique qu’a donc été déposé et adopté l’amendement proposant la reformulation du texte initial[10].

Nous regrettons toutefois le manque de clarté de l’explication jointe à la proposition d’amendement qui, loin de lever toute ambigüité, ne fait que renforcer les interrogations sur cette question[11] et qui se conclut d’ailleurs de manière assez ironique par la formule : « Ainsi, les collectivités seront sécurisées juridiquement quant à l’appréciation de ce passage. »

En tout état de cause, restera le fait que les débats autour de la formulation du texte portent uniquement sur la clarification des dispositions existantes. Ils ne portent pas sur une véritable révolution quant au champ d’intervention de la CAO.

      Nous estimons donc dans ces conditions que le texte consacre la saisine obligatoire de la CAO uniquement pour les procédures formalisées. Cette appréciation se fait par procédure, et non par lot/marché.

 

[1] Fiche « L’intervention de la commission d’appel d’offres dans le cadre des procédures d’attribution des marchés publics », point 2.1 p. 4

[2] Ce qui excluait de fait les marchés des articles 28, 29 et 30 du décret du 25 mars 2016

[3] Article 69 III 1°) a), modifiant l’article L. 1414-2 du CGCT

[4] Qui est, rappelons-le, une source du droit dont pourra se servir le juge pour interpréter un texte. Voyez en ce sens le récent vade-mecum de rédaction des décisions publié par le Conseil d’Etat p.19

[5] Tous compilés notamment sur le site de l’Assemblée Nationale, http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/alt/evolution_logement_amenagement_numerique

[6] http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r0971.pdf

[7] Page 300

[8] Voyez le 2) a) b) p. 301 du rapport

[9] http://www.senat.fr/rap/l17-630-1/l17-630-11.pdf

[10] n° 2438 du 26 mai 2018

[11] Voyez notamment le compte rendu d’adoption de l’amendement http://www.assemblee-nationale.fr/15/amendements/0971/AN/2438.asp