« LE MAXIMUM DES ACCORD-CADRES », mais quand est-ce que ça finira cette histoire ?! Eh bien, tel un fils de charpentier célèbre né quatre ans avant lui-même, l’accord-cadre ne finit qu’après sa propre fin, selon la Cour de justice de l’Union européenne.

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« What ??? »[1]

Explication !

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Le montant maximum de l’accord-cadre fait parler de lui depuis l’an dernier, jurisprudence et règlementation s’étant accordé pour en faire une obligation générale et absolue. Les accords-cadres « sans mini ni maxi » sont donc de l’histoire ancienne (voir le dernier épisode de la saga).

  • La consultation doit avoir un maximum.
  • Chaque accord-cadre issu de la consultation doit en avoir un, donc chaque lot doit en avoir un également.

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Ce maximum est à distinguer de l’estimation du pouvoir adjudicateur, comme du budget alloué pour l’opération.

L’estimatif acheteur est pertinent au stade de la passation pour permettre aux entreprises, en fonction de leurs capacités, de se positionner sur les marchés pertinents. Il n’implique pas d’engagement juridique.

Les crédits budgétaires disponibles commandent le rejet des offres inacceptables, c’est-à-dire trop chères pour que l’acheteur puisse les financer. Ce rejet doit être justifié par des documents comptables (voir notre article). Sans constituer un engagement juridique envers les entreprises, ils ont déjà une certaine portée obligatoire.

Le maximum contractuel de l’accord-cadre, lui, constitue un véritable engagement juridique, au même titre que le minimum, puisque l’acheteur ne peut plus – a priori – passer de commande ou de marché subséquent au-delà du seuil maximum. En effet, le contrat devient automatiquement caduc dès ce seuil atteint.

Du moins le croyait-on…

Conséquences de ce caractère contraignant :

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1.

L’on aurait pu penser – à tort ? – qu’une offre analysée sur la base d’un D.Q.E. (Devis Quantitif Estimatif) dont le total excède ce maximum n’a pas à être rejetée comme irrégulière[2]. Puisque le D.Q.E. ne permet que de comparer les prix, mais n’est pas contractualisé[3].

Cependant le Tribunal de l’Union européenne semblait juger tout l’inverse dans une ordonnance du 7 décembre 2020 selon laquelle le dépassement par une offre du « budget maximal » d’un accord-cadre « constitue une méconnaissance des conditions de l’appel d’offres et, partant, une cause de rejet, certes, implicite, mais dénuée d’équivoque » (TUE 7 décembre 2020, aff. T-536/1, §40).

Étrange formule que ce « budget maximal », d’autant que la décision précise plus loin que :

« Au demeurant, il ne saurait être admis que le pouvoir adjudicateur doit accepter une offre financière dépassant le budget maximal de l’appel d’offres dans l’espoir que, au cours de l’exécution du marché, ce budget ne serait pas dépassé. En effet, un tel acte ne présente pas la fiabilité requise pour permettre l’attribution d’un marché dans des conditions assurant la sécurité juridique pour un bon usage des fonds de l’Union. Par ailleurs, il n’assure pas un traitement égal des participants dans la mesure où l’engagement éventuel de respecter le budget maximal ne saurait être tenu pour équivalent à un respect strict de ce budget ». (Mais ne vient-on pas de dire que le propre d’un maximum contractuel est de constituer un véritable engagement juridique ?).

2.

L’on aurait pu penser, à tort, que seul un avenant permettait de dépasser le seuil de commandes initialement contractualisé.

Soit, par la re-ventilation des maximums sur les différentes périodes d’exécution (sans impact financier global). Soit, par l’augmentation du montant maximum contractuel, dans la limite classique des modifications de faible montant (Art. R2194-8 CCP).

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Mais la Cour de justice fait voler en éclat toutes ces belles illusions, jugeant sur renvoi préjudiciel[4] que :

« en concluant un accord-cadre, un pouvoir adjudicateur ne peut s’engager que dans la limite d’une quantité et/ou d’une valeur maximale des travaux, fournitures ou services concernés, de sorte que, une fois cette limite atteinte, cet accord-cadre aura épuisé ses effets (…). Partant, (…) plus aucun marché ne peut être légalement attribué (…) sur la base d’un accord-cadre dont ladite limite a été dépassée et qui, dès lors, est privé d’effets, sauf si cette attribution ne modifie pas substantiellement ce dernier ».

Cette précision finale implique que, une fois le maximum de l’accord-cadre atteint, celui peut néanmoins continuer de s’exécuter du moment que l’attribution d’un marché subséquent (et, par analogie, l’émission de bons de commande ???) ne modifie pas substantiellement l’accord-cadre et ses conditions de mise en concurrence initiales.

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Pour mémoire, la jurisprudence de la Cour, la directive de 2014 et aujourd’hui l’article R2194-7 du CCP ne définissent pas les modifications substantielles…[5]

On sait seulement que les modifications de faibles montant sont toujours autorisées, donc nécessairement non substantielles.

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Et finalement ne s’agirait-il pas, en définitive, de permettre aux acheteurs de passer des avenants implicites de faible augmentation de montant ?

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Cette souplesse toute relative introduite par la Cour est-elle à mettre en lien avec la condamnation, l’année dernière, des accords-cadres sans maximum ? La boucle serait bouclée !

Elle a en tous cas le mérite de redonner tout son sens au jugement du Tribunal de l’UE selon qui le respect du budget maximal n’est qu’un engagement éventuel…

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CJUE, 14 juillet 2022, C-274/21 et C-275/21


[1] Qui peut se traduire par le très gracieux « Hein ??? »

[2] Hypothèse à ne pas confondre avec celle, qui n’a plus lieu d’être, où l’accord-cadre est passée sans maximum et que l’offre formulée excède de loin l’estimation de l’acheteur ; auquel cas il n’y a plus de contrainte au stade de l’exécution pour faire respecter les conditions initiales de mise en concurrence (voir notre billet).

[3] En effet, contractualiser le D.Q.E. d’un accord-cadre reviendrait à lever toute incertitude sur les quantités et donc à faire de celui-ci… un marché public !

[4] Le renvoi préjudiciel en interprétation est une procédure spécifique au droit de l’Union européenne qui permet à une juridiction de saisir la Cour afin qu’elle livre son interprétation authentique des règles de droit de l’Union européenne (directives, règlements, traités, principes fondamentaux etc…).

[5] Ils prévoient seulement que sont belles et bien substantielles les modifications :

  • qui remettent en cause les conditions initiales de la mise en concurrence ;
  • qui modifient l’équilibre économique du marché en faveur du titulaire ;
  • qui « modifient considérablement le marché » ;
  • ou qui impliquent un changement de titulaire.

Mais une modification qui n’a aucun de ces caractères pourraient encore être regardée comme « substantielle » par un juge, puisqu’un « notamment » précède cette liste !