Dans deux récents billets nous vous exposions la tension actuelle entre principe de proportionnalité et caractère « intégralement » obligatoire du Règlement de consultation dans la procédure d’attribution des marchés publics.

En l’occurrence, rappelons seulement que le RC  permet à l’acheteur d’introduire des conditions de forme et de fond à la candidature des entreprises qui s’imposent à tous (y compris lui-même…), sauf à ce que ses exigences soient directement contraires à la loi ou manifestement inutiles (Voir nos articles : « Le principe de proportionnalité dans la commande publique ? (épisode 1) »et « (épisode 2) »).

De plus en plus, l’une de ces exigences consiste à limiter le nombre de pages du mémoire technique, annexes comprises ou non. Lisibilité et égalité obligent ! Et jusqu’à présent les juges reconnaissent que cette exigence n’est pas « manifestement inutile ».

Dans l’affaire portée devant le TA de Montreuil (épisode 1 !), le juge était allé plus loin. L’entreprise avait produit un mémoire de 104 pages au lieu des 80 requises, et la juridiction montreuilloise lui avait répondu en précisant qu’au vu du dépassement important (+ de 30%), aucun changement de mise en forme n’aurait pu sauver l’entreprise du rejet-couperet (plus impressionnant encore que les 14 000 605 futurs possibles entrevus par le Docteur Strange !).

C’est aujourd’hui au Tribunal administratif de Poitiers d’aller encore et toujours plus loin, puisque dans l’affaire portée devant lui, l’entreprise rejetée avait eu la « bonne » idée d’imprimer son document au format 4 pages par feuille. Comprendre que la taille de son mémoire était « visuellement » divisée par 4, ce qui lui permettait de respecter a priori la limite de 60 pages maximum.

Malinx le lynx !

Mais cela n’a pas plus à l’acheteur, qui défendait sa décision de rejet de la façon suivante :

« La société a contourné la limitation formelle prévue par le règlement de consultation, par un artifice de présentation et (…) chaque page contient en réalité quatre pages miniatures d’ailleurs numérotées ce qui aboutit à (…) un mémoire technique de 240 pages très au-delà du format requis, (…) Cette insertion de pages miniatures saturant le mémoire technique ainsi que le choix d’une taille de police de caractère réduit le rendent illisible, empêchant son analyse et une comparaison avec les autres offres et que dès lors ce dépassement de 180 pages de la limitation fixée ne pouvait qu’entraîner non pas une pénalisation de la note finale mais une élimination de l’offre (…) En acceptant cette offre, (l’acheteur) aurait porté atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats ».

L’acheteur ne transformera malheureusement pas l’essai, le juge sanctionnant le fait « que le règlement de consultation n’a pas défini les conditions de présentation du mémoire technique autrement que par cette limitation du nombre de pages, et n’a pas posé d’exigence notamment sur la taille de la police d’écriture employée ou sur la composition et la mise en forme de chaque page ».

Acheteurs : à vos cadres (de mémoire technique), prêts, partez !

TA Poitiers, ord. 6 octobre 2023, Sté Philippe Vediaud Publicité,n°2302509