Dans un récent arrêt du 11 janvier, la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation a rendu une décision remarquable du point de vue théorique comme du point de vue pratique. Il a en effet été jugé que le titulaire sortant d’un marché public se rend coupable d’une faute civile à l’égard de ses concurrents en ne communiquant pas, de lui-même, toutes les informations relatives à la reprise du personnel.
Même si l’article L1224-1 du code du travail est applicable aux renouvellements de marchés publics, il est clair que la reprise du personnel n’est pas systématique.
Cette obligation découle de l’existence d’une activité économique autonome (personnel dédié, équipements spécifiques etc…), qui implique la permanence des contrats de travail et leur transfert automatique de l’ancien employeur au nouveau.
Sous l’angle du droit de la commande publique, c’est l’acheteur le premier responsable de l’égalité de traitement entre les candidats, donc de l’identification d’une potentielle distorsion de concurrence et du rétablissement par tous moyens de l’égalité. Concrètement, il prend en charge la collecte d’informations concernant la reprise du personnel et leur mise à disposition, sur son profil d’acheteur, via les documents de la consultation.
Le cas échéant, il encourt une sanction qui va de la remise en cause de sa procédure à la remise en cause de son contrat, en passant par sa condamnation à indemniser les candidats évincés qui avaient une chance d’emporter le marché.
Sous l’angle du droit des contrats, le titulaire du marché a aussi une obligation d’exécution de bonne foi de ses obligations, vis-à-vis à du pouvoir adjudicateur. On pourrait donc imaginer une sanction – pécuniaire – contractuelle à l’égard du titulaire sortant, ce qui implique que seul l’acheteur peut la demander.
Mais l’affaire devant la Cour de cassation se réglait sous un tout autre angle : celui du droit de la concurrence. Ici, une entreprise – au moins – reproche à une autre – au moins – un comportement, une pratique et recherche sa condamnation sur un fondement extracontractuel. Ce que l’on appelle la responsabilité civile. Autrement dit, il ne convient plus de rechercher si un contrat n’a pas été respecté, mais si une obligation non écrite, générale et préexistante, a été méconnue.
Le fait de retenir les informations relatives à la reprise constitue-t-il, pour le titulaire sortant, une faute quasi-délictuelle à l’égard des autres entreprises candidates ? Aux yeux de la Cour de cassation, il y a bien un devoir de loyauté vis-à-vis des autres candidats. Qui se remplit par la communication à l’acheteur de toutes les informations pertinentes relatives à la reprise. De là, un nouvel exemple de cas d’équivalence entre faute contractuelle (vis-à-vis de l’acheteur) et faute délictuelle (vis-à-vis des autres entreprises).
En allant plus loin, la Cour reconnait que le titulaire a le devoir de communiquer toutes les informations pertinentes sans attendre la sollicitation du pouvoir adjudicateur ! Puisqu’elle reproche au juge d’appel d’avoir violé le code civil en déduisant de ses articles que les titulaires sortants des marchés n’auraient pas « l’obligation d’informer spontanément le pouvoir adjudicateur des évolutions possibles de la masse salariale ». Ben si !
Des p’tites fautes, des p’tites fautes, toujours des p’tites fautes…
Cass. com., 11 janvier 2023, pourvoi n° 20-13.967, publié au Bulletin