« Pour reconstruire la justice administrative au sein d’un ordre juridictionnel unifié, c’est une véritable révolution historique qu’il faudrait accomplir »[1]. Cela retranscrit le caractère ancré de la dualité de juridiction dans le droit français, illustré par notre cas d’espèce, dans lequel une SPL a conclu un contrat. Relève-t-il de la compétence du Juge administratif ou privé ?[2]

La compétence est l’aptitude légale à juger du litige, qui doit donc s’inscrire dans le domaine attribué au juge concerné.

Cette compétence est d’ordre public, elle ne peut être réfutée par le justiciable, qui ne peut choisir sa juridiction.

Lorsque le juge administratif n’est pas compétent, il doit relever ce moyen d’office, quand bien même il n’y aurait pas eu de contestation par l’une des parties.

C’est le raisonnement que vont avoir les Juges du Conseil d’État en l’espèce.

La détermination de la compétence par le législateur

L’article 3 de l’ordonnance du 25 juillet 2015 relative aux marchés publics alors en vigueur dispose que  » Les marchés publics relevant de la présente ordonnance passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs « .[3]

Il y a donc 2 conditions cumulatives pour la qualification de contrat public, et la compétence du juge administratif.

La première condition ne fait pas défaut, il s’agit bien d’un marché public relevant de l’ordonnance précitée.

La question est de savoir si la société publique locale (SPL) est une personne morale de droit public ?

La SPL, société anonyme non transparente

L’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) permet aux collectivités territoriales et à leurs groupements de créer des SPL dont elles détiennent le capital et qui revêtent la forme de société anonyme régie par le livre II du code de commerce. Ce sont de ce fait des personnes morales de droit privé.

Mais la question de la qualification de contrat administratif pour cause d’entité transparente est évoquée.

Pour rappel la jurisprudence européenne relative aux contrats « in house » caractérisait la transparence par le fait pour une personne privée d’être créée par une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources[4]. En conséquence les contrats qu’elle conclut pour l’exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont dans sa continuité des contrats administratifs.[5]

Cependant les Juges viennent rappeler ici l’exception à ce principe de transparence du fait que les SPL relèvent du régime légal prévu dans l’article L. 1531-1 du CGCT pour transférer des missions à une entité privée.[6]

Le contrat est donc bien de droit privé et ne relève pas de la compétence des Juges administratifs !

Conseil d’État, 7ème chambre, 14 février 2023, 460527


[1] Selon le professeur Jacques Caillosse

[2] Pour les questions d’actionnariat, voir notre billet

[3] Désormais apprécié plus strictement dans l’art L.6 CCP « S’ils sont conclus par des personnes morales de droit public, les contrats relevant du présent code sont des contrats administratifs, sous réserve de ceux mentionnés au livre V de la deuxième partie et au livre II de la troisième partie. Les contrats mentionnés dans ces livres, conclus par des personnes morales de droit public, peuvent être des contrats administratifs en raison de leur objet ou de leurs clauses. »

[4] Arrêts CJCE, 18 nov. 1999, Teckal, aff. C-107/98 ; CJUE, Cour, 13 nov. 2008, C-324/07 ; CJUE, 29 novembre 2012, n° C-182/11,  Econord SpA

[5] En ce sens, CE 21 mars 2007 Commune de Boulogne-Billancourt, n° 281796

[6] En ce sens, CE 4 mars 2021 Société SOCRI Gestion, req. n° 437232