La tardiveté ne touche pas que les dépôts ![1] Le juge d’appel marseillais vient d’appliquer l’exigence d’un délai raisonnable de recours au contentieux de la validité du contrat administratif… Qu’est-ce à dire que ceci ? Point de « Kaamelott », on vous l’assure.

Dans la jungle, terrible jungle, du contentieux administratif, le recours sans délai des tiers contre le contrat est peut-être mort ce jour.

Revenons-en aux fondamentaux pour comprendre les implications !

La contestation du contrat

D’une part, le Conseil d’État a lâché une véritable bombe en 2014, l’arrêt Tarn-et-Garonne ouvrant la possibilité à tous les tiers de contester directement les contrats administratifs[2], parmi lesquels les marchés publics.

Il avait déjà ouvert cette faculté en 2007 aux seuls concurrents évincés d’un contrat ayant fait l’objet d’une mise en concurrence. Sept ans plus tard, cette possibilité de contestation est généralisée.

Mais dans un cas comme dans l’autre, il avait enfermé le recours dans le délai suivant :

« Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ».

Quid, alors, si les mesures de publicité n’étaient pas, ou mal, accomplies ? Ou encore s’il s’agissait d’un marché à procédure adaptée (MAPA) dont on sait que l’attribution n’exige pas de mesures de publicité particulières ?

À la 2nde question, il était facile de répondre que c’est bien la publication facultative d’un avis d’attribution qui faisait courir le délai.

Mais à la 1ère question, il était coutume d’enseigner que le délai n’était alors enfermé dans aucun recours… Autrement dit le contrat pouvait encore être contesté dans sa validité des années après, et pourquoi pas juste avant son terme ! Sécurité juridique, où es-tu ?

Les délais de recours

D’autre part, dans le contentieux administratif général, de nombreuses règles viennent faire tantôt l’affaire tantôt le désarroi des avocats, en réglant de façon pointue la question de la forclusion.

Est forclos celui qui agit après l’expiration des délais de recours, de sorte que son recours est irrecevable sans aucune possibilité de régularisation. Il est donc cardinal de bien déterminer le point de départ et la durée du délai.

Le POINT DE DÉPART est

  • la publication de l’acte règlementaire,
  • la notification de l’acte individuel,
  • à moins que la décision individuelle ne soit favorable à son destinataire auquel cas le délai court à compter de sa signature.

Si l’acte n’est pas publié ou pas notifié ? Alors le délai ne commence jamais à courir, autrement dit le recours est toujours perpétuel. Et il n’en va autrement qu’en cas de connaissance acquise de l’acte[3] à une date certaine[4].

*

La DURÉE du délai est en principe de 2 mois, il s’agit d’un délai franc, et à son expiration nous avons déjà rappelé que le recours était irrévocablement voué en échec.

Jusqu’à récemment, il y avait toutefois une parade : l’article R. 421-5 du code de justice administrative prévoit que ce délai, de 2 mois ou autre, n’est opposable qu’à la condition que les voies et délais de recours contre la décision aient été notifiés avec elles, et correctement notifiés de surcroit. Donc, pas de mentions, pas de délai !

Cette parade ne jouait plus et ne joue toujours pas en cas de connaissance acquise des voies et délais de recours[5].

Mais l’arrêt Czabaj de 2016[6] (prononcez ‘‘Xabaje’’) est de toute façon venu limiter considérablement la portée de cette parade :

  • elle vaut toujours pour les actes règlementaires ;
  • mais elle ne joue plus qu’en partie à l’égard des actes individuels notifiés, car à leur égard va s’appliquer tout de même un « délai raisonnable ».

Ce « délai raisonnable » est une notion plastique que les juges vont fixer in concreto, bien qu’une tendance générale à le fixer à un an se soit installée très tôt.

Et les contrats dans tout ca ?!

Les délais de recours en contestation du contrat !

Le point de départ du délai de recours

Ils ne sont pas à proprement parler une « décision » individuelle, bien qu’ils s’en rapprochent assez et que le Code des relations entre le public et l’administration le traite comme tel. Pourtant, ce n’est pas leur notification ou même leur signature qui compte, mais « la publication de l’avis d’attribution du contrat » ainsi que le confirme la cour sans réserver l’hypothèse des MAPA, pour lesquels la signature aurait pu être un point de départ pertinent…

Le délai de principe

Nous avons déjà rappelé qu’il était de 2 mois aux termes de la jurisprudence Tarn-et-Garonne 🙂

Les formalités rendant opposable le délai de principe

De façon étonnante, la cour amalgame les modalités de consultation du contrat et les modalités de recours contre le contrat, étendant par là considérablement la portée et même l’esprit de l’article R. 421-5 du CJA… :

« L’avis d’attribution du contrat attaqué (…) comporte une rubrique intitulée  » nom et adresse officiels de l’organisme acheteur « , dûment complétée, et précise le nom d’un  » correspondant « . Toutefois, il ne mentionne pas les modalités de consultation du contrat. Ces modalités n’ont pas davantage été portées à la connaissance de la SAS Seateam Aviation par les courriers en date du 10 août et du 14 octobre 2010 qui lui ont été adressés par le ministre de la défense. Dans ces conditions, les délais de recours de deux mois à l’encontre du contrat ne sont pas opposables à la SAS Seateam Aviation. »

Le délai raisonnable s’appliquant à défaut de ces formalités

La cour administrative d’appel de Marseille applique sans hésiter ces principes aux contrats administratifs, le délai raisonnable d’un an jouant là encore comme un plafond général « sauf circonstances particulières ».

Il reste toutefois curieux que ce délai n’ait pas été fixé à 6 mois afin d’aligner le recours au fond et le référé contractuel, lequel n’est recevable que dans un délai de 6 mois lorsqu’aucune formalité de publicité de l’attribution ou de la notification n’a été accomplie.

CAA Marseille, 25 avril 2022, SAS Seateam Aviation, n°19MA05387


[1] Voir notre actualité « Dépôt tardif et erreur dans le RC : l’acheteur doit-il accepter le pli ? ».

[2] CE Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994.

[3] Même si l’acte n’est jamais publié ou notifié, le juge pourra « faire comme si » lorsque l’auteur du recours pourra être regardé comme ayant eu connaissance certaine de l’existence et du contenu de la décision. Voir par ex. CE, 11 avril 2008, Société Défi France, n° 307085.

[4] Cette date certaine est, selon la jurisprudence, au plus tard, la date d’enregistrement de sa requête par la juridiction.

[5] Même s’il n’est pas officiellement notifié des voies et délais de recours ouverts à lui, le requérant peut parfois être regardés comme devant nécessairement les connaître : par ses fonctions (si c’est un juge administratif, par ex.), par le jeu des circonstances, etc… En quelque sorte, il s’agit de prouver une certaine mauvaise foi du requérant qui se prévaut de sa prétendue ignorance dans le seul but d’échapper aux conséquences de son retard à saisir le juge. Cette preuve peut être rapportée par tous moyens.

[6] CE, Ass., 13 juillet 2016, Czabaj, n° 387763.