« La soif d’égalité n’est souvent qu’une forme avouable du désir d’avoir des inférieurs et pas des supérieurs », d’après Gustave Le Bon.
Cela pourrait illustrer le cas d’espèce. Les requérants contestent la légalité du choix du cocontractant et demandent l’annulation du marché public au nom de l’égalité de traitement.
Ils arguent que l’acheteur a exclu de la variante autorisée une option technique, favorisant ainsi leur concurrent.
Le principe d’égalité de traitement
Il s’agit d’un des grands principes de la commande publique, énoncé à l’article L3 du Code de la commande publique[1]. Le délit de favoritisme est par ailleurs pénalement sanctionné.
La non-discrimination induit que les soumissionnaires aient les mêmes chances. L’acheteur doit objectivement énoncer ses besoins et les candidats sont soumis aux mêmes conditions (CJUE, 4 mai 2017, aff. C-387/14, Esaprojekt sp. z o.o. c/ Województwo Łódzkie).[2]
Les juges européens ont eu l’occasion de rappeler le caractère constant du principe, notamment dans l’arrêt du 3 mars 2005[3], . En effet, « selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts du 14 décembre 2004, ArnoldAndré, C-434/02, Rec. p. I-11825, point 68 et jurisprudence citée, ainsi que SwedishMatch, C-210/03, Rec. p. I-11893, point 70 et jurisprudence citée )[4]».
Ce principe permet notamment d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics.
Comment se matérialise concrètement ce principe très généraliste d’égalité ?
La spécification technique, une atteinte à la concurrence?
Les requérants invoquent l’article 8 du décret du 25 mars 2016. Ce dernier dispose que « Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’un mode ou procédé de fabrication particulier ou d’une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type lorsqu’une telle mention ou référence est susceptible de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l’objet du marché public ».
En l’espèce l’acheteur prévoyait une variante facultative avec des exigences minimales à respecter. « Le système de nettoyage ne pourra pas être de type hydroéjecteur, cloche à vide, clapet vanne. Il s’agira d’un système de chasse augets basculant. ».
Le fait d’imposer une spécification technique irait à l’encontre du principe d’égalité de traitement selon les requérants.
Dans un premier temps les juges vont examiner l’éventuelle atteinte à la concurrence de cette spécification technique.
Ce faisant ils rappellent que la société évincée n’a pas eu de difficulté à présenter son offre, qui est bien conforme.
Les propres références des requérants, dans leur offre, prouvent même qu’ils ont, à plusieurs reprises, installé un système de nettoyage par augets basculants, ce qui rend la requête assez audacieuse.
Ils ont simplement une préférence pour un autre système de nettoyage, ce qui ne permet pas d’établir que le pouvoir adjudicateur aurait souhaité favoriser la société attributaire en l’excluant.
Il n’y a donc pas de méconnaissance du principe d’égalité de traitement.
Par suite, en l’absence d’atteinte à la concurrence, il n’y a même pas lieu de se prononcer sur la condition relative à la justification de la spécification technique au regard de l’objet du marché public.
En conclusion, « l’égalité des chances, c’est la chance de prouver l’inégalité des talents »[5].
Cour administrative d’appel de Nancy, 4ème chambre, 8 novembre 2022, 19NC02502
[2] Voir un exemple en ce sens l’article du Blog « Négociation : pour préserver l’égalité, il faut parfois y renoncer »
[3] CJCE 3 mars 2005, Fabricom, C 21/03 et C 34/03, Rec. p. I 1559, point 27
[4] Voir également CJUE 10 oct. 2013, aff. C 336/12
[5] Sir Herbert Samuel.