À marchés de travaux, contentieux abondant

Quand par trop prématuré, le parquet vieillissant

Maître d’ouvrage mécontent saisit le juge du différend

Attrait devant le prétoire maître d’œuvre, entrepreneur et fabricant

La décennale sera-t-elle d’un secours pertinent ?

Le fournisseur et le fabricant

Les principes de la responsabilité décennale posés par le code civil – et réceptionnés par le juge administratif en tant que tels – ne concernant a priori que les « constructeurs » et dans certaines conditions les « fabricants ». En d’autres termes, ceux qui occupent un rôle dans l’érection de l’ouvrage qui va au-delà du simple transport de matériaux d’un point A à un point B.

Aussi le « fournisseur » n’est-il pas, en principe, tenu solidairement de cette garantie. Et par exception ? On distinguera en réalité le simple fournisseur du fournisseur d’E.P.E.R.S., acronyme pour Équipement ou Élément Pouvant Entraîner la Responsabilité Solidaire… Tout est dans le titre ! L’article 1792-4 du code civil en parle comme d’un « élément d’équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance », mais au-delà de cette définition la notion reste encore incertaine.

En l’espèce, il s’agissait d’un litige autour du parquet destiné à une salle de danse et des festivités. Les résultats de l’instruction ne permettent pas de considérer ce parquet comme un E.P.E.R.S puisque :

  • Il n’a pas subi des « adaptations substantielles » qui seraient « en rapport avec les configurations particulières de l’ouvrage »,
  • Et il n’a pas non plus « été conçu pour satisfaire à des exigences prédéterminées par (le maître d’ouvrage) ».

Pour le juge, la circonstance que les stipulations du CCTP fassent références aux spécifications techniques de ce parquet en particulier, dans le catalogue du fournisseur, ne permet pas de retenir cette qualification. Ce qui est plein de bon sens, surtout que cette référence se faisait par équivalent (principe de libre-accès à la commande publique oblige).

Le concepteur et l’entrepreneur

Après avoir rejeté celle du simple fournisseur, le juge examine la responsabilité décennale du maître d’œuvre (MOE), rappelant que le MOE peut être qualifié de constructeur mais n’est jamais responsable qu’en tant que le dommage lui est imputable.

En l’espèce, et comme bien souvent, la mission du MOE comprenait la conception du projet et l’aide à la passation des contrats, par conséquent le MOE était directement impliqué dans le choix des spécifications techniques et en particulier le choix inapproprié du type de parquet mis en œuvre. Le désordre lui est donc imputable.

Le vice apparent et le dommage évolutif

Dans un précédent article, nous vous rappelions les principes de base du champ de la garantie décennale et notamment la distinction qui existe entre le dommage actuel (apparu, caractérisé et consolidé dans le délai d’épreuve de 10 ans), le dommage futur (apparu mais non encore caractérisé dans ce délai) et le dommage hypothétique dont il n’est jamais certain qu’il acquiert un jour un caractère décennal.

Reste en réalité un quatrième cas de figure abordé par notre arrêt, qui est celui du dommage évolutif : le dommage apparu et caractérisé dans le délai d’épreuve mais non encore consolidé, c’est-à-dire qui ne s’est pas encore révélé dans toute son étendue avant l’expiration du délai de dix ans.

À supposer que le vice du parquet soit un dommage évolutif en l’espèce, présente-t-il donc dès à présent les caractères d’un vice décennal c’est-à-dire rendant l’ouvrage impropre à sa destination[1] ? En l’espèce, le maître d’ouvrage destinait l’ouvrage à accueillir des activités festives et de danse. Or, des défauts du parquet générait un accrochage récurrent des pas au sol et donc un risque accru et significatif de chutes. Pas top, pour la sécurité des danseur(se)s… De plus, ces défauts avaient été révélés par l’usure – insuffisante épaisseur de la couche d’usure – ce qui permet d’écarter, préalablement, le caractère de vice apparent qui aurait fait obstacle à la mise en jeu de la garantie décennale.

La garantie décennale est donc mise en jeu et la responsabilité du maître d’œuvre, engagée.

CAA Toulouse, 2 février 2023, n° 22TL21552


[1] Puisqu’on imagine mal du parquet atteignant la solidité de l’ouvrage dans la mesure où la pose n’est jamais scellée du fait de l’allotissement !