“Calmez le désordre avant qu’il n’éclate”, disait Lao-Tseu. C’est le sens de la garantie décennale, qui vise à réparer les dommages, notamment issus des vices du sol, rendant impropres à sa destination l’ouvrage. Il est question dans notre arrêt de mettre en œuvre la garantie décennale du maître d’œuvre dans le cadre de la conception et du suivi des travaux d’une voirie comportant des défauts. Quelles sont les conditions de mise en œuvre ? Le maître d’œuvre est-il le seul responsable ?

Le caractère décennal des désordres…

La garantie décennale permet au maître d’ouvrage de se retourner contre son titulaire si des désordres, non constatés lors de la réception, apparaissent par la suite dans un délai de dix ans suivant la réception.

Le constructeur de l’ouvrage est responsable des dommages « compromettant la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. » (Article 1792 du Code Civil).

En l’espèce des affaissements de pavages, des fissurations des enrobés, des descellements et une déstructuration de joints de la voirie sont constatés par un expert. Cela a pour conséquence de ne pas répondre au besoin en trafic routier. De surcroit le caractère évolutif de ces désordres induit des travaux d’entretien réguliers par la commune. Le fait que la circulation n’ait pas été interrompue n’empêche donc pas la mise en œuvre de la garantie décennale, l’ouvrage étant bien par défaut impropre à sa destination.

Toutefois les Juges vérifient que ces désordres soient imputables au titulaire pour pouvoir solliciter sa garantie.

….imputables en partie au titulaire

L’exonération de responsabilité, dans ce cadre, est en toute logique de trois types :

  • La force majeure
  • La faute du maître d’ouvrage
  • L’absence d’imputabilité des désordres

L’expertise a révélé des défauts dans la conception même de l’ouvrage, en particulier un sous-dimensionnement des chaussées configurées sur la base d’une circulation occasionnelle de poids-lourds au lieu du trafic de 50 poids-lourds par jour. De plus dans le cadre de sa mission de surveillance et de direction du chantier, notre maître d’œuvre n’a pas procédé à un contrôle suffisant des travaux réalisés par la société de travaux (il est responsable solidairement avec celle-ci).

Il y a donc bien un lien de causalité direct entre les manquements et les désordres constatés.[1]

Les Juges exonèrent toutefois en partie le requérant. La commune, maître d’ouvrage, n’a pas transmis les données du trafic routier au requérant, en méconnaissance des dispositions de l’article 1b de l’annexe III de l’arrêté du 21 décembre 1993.

Ce défaut d’information, couplé à une absence d’actions visant à faire respecter la limitation de circulation des poids-lourds, exonère à hauteur de 20% la responsabilité décennale du requérant.

Cour administrative d’appel de Douai, 2e chambre – formation à 3, 9 mai 2023, 21DA00124


[1] Voir en ce sens CAA Nancy, 11 octobre 2022, n° 20NC00428, CAA Toulouse, 11 octobre 2022, n° 20TL22317 et notre billet