« Quelle durée pour un marché public ? », cette grande question qui revient reçoit souvent la réponse la plus facile : la réponse théorique !

Si pour les accords-cadres les choses sont claires (4 ans maximum pour les pouvoirs adjudicateurs, 8 ans maximum pour les entités adjudicatrices), pour les marchés publics les choses le sont moins. En effet, aucune disposition textuelle ne pose de borne temporelle aux marchés.

L’article L5 du code de la commande publique dispose seulement que les contrats de la commande publique « sont conclus pour une durée limitée ». Et l’article L2112-5 est à peine plus précis, qui prévoit que « la durée du marché est définie en tenant compte de la nature des prestations et de la nécessité d’une remise en concurrence périodique ».

Un marché peut-il durer 12 ans ? La réponse théorique est donc oui ! Mais en pratique ?

La cour administrative d’appel de Marseille a eu à répondre à cette question.

« Pour justifier de la durée particulièrement longue de douze années du marché de service en litige (ayant pour objet la desserte maritime entre deux points) et qui a pour effet de retarder, ainsi que l’ont relevé les premiers juges, la mise en concurrence périodique des opérateurs économiques, (l’acheteur) se prévaut de la liberté contractuelle notamment s’agissant de la fixation de la durée des marchés publics et fait valoir qu’en l’espèce, cette durée était justifiée par la nécessité de prendre en compte la période restante d’amortissement des trois navires que son cocontractant avait l’obligation d’acquérir ».

Telle était l’argumentation de l’acheteur, qui somme toute semble tenir la route.

Et pourtant…, cette argumentation n’a pas convaincu le juge !

En effet, « de telles considérations sont inopérantes, l’appelante ne pouvant se prévaloir des règles qui régissent les biens dits de retour qui reviennent à la collectivité publique à l’issue d’une délégation de service public, dès lors qu’elle a conclu un marché public et non une délégation de service public et qu’en conséquence, les trois navires n’ont pas vocation à devenir sa propriété à l’issue de ce marché mais restent propriété de son contractant ».

Si on ne peut qu’être d’accord quant à l’inapplicabilité des règles régissant les concessions à un marché public, on ne manque pas d’être étonné par le parallèle, non fait par le juge, avec les accords-cadres.

En effet le code permet de déroger à la durée maximale des accords-cadres, rappelée ci-dessus, « par le fait que leur exécution nécessite des investissements amortissables sur une durée supérieure ».

Bien au contraire, pour le juge d’appel marseillais, l’argument du défaut d’amortissement n’est de toute façon pas probant dans la mesure où :

  • les navires pouvaient continuer à être amortis dans le cadre d’une activité de prestation de services ultérieure ;
  • ils pouvaient faire l’objet d’une revente pour compenser l’impossibilité de les amortir totalement dans le cadre de la durée du contrat ;
  • l’obligation d’achat des navires n’est pas consubstantiel à l’objet du marché – qui est la desserte maritime – mais constitue seulement une modalité d’exécution du contrat.

Ce raisonnement, s’il était validé par le Conseil d’État, pourrait-il signifier la fin des accords-cadres dérogatoires fondés sur le défaut d’amortissement des investissements à réaliser… ?!

Cour administrative d’appel de Marseille, 6ème chambre, 13 novembre 2023, 22MA00485

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