« Il faut remplacer le mal, faire qu’il semble n’avoir été qu’un rêve », selon le doyen Carbonnier, qui illustre parfaitement le principe d’indemnisation du préjudice du candidat. Les requérants en l’espèce[1] demandent une indemnisation au titre de l’irrégularité de leur éviction de la procédure de délégation de service public.

Les acheteurs arguent que la procédure ayant été déclarée sans suite pour motif d’intérêt général, il n’y a plus lieu de verser cette indemnité.

Le droit à l’indemnisation du candidat irrégulièrement évincé

Les juges rappellent ici les conditions d’une indemnisation du candidat évincé. En effet, « il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité. [… ]. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat.[2] Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre»[3]

Par ailleurs quand l’irrégularité est établie, celle-ci doit être la cause directe de l’éviction du candidat et, par suite, il faut qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l’indemnisation.

Le principe posé par les juges est donc l’indemnisation du candidat irrégulièrement évincé lorsque les conditions précédemment énoncées sont réunies.

Cependant le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d’intérêt général. Le principe d’égalité de traitement est alors respecté[4]

La motivation de la déclaration sans suite pour motif d’intérêt général

« Quels que soient la nature et le régime du contrat dont le projet de passation fait l’objet d’un avis d’appel public à la concurrence, la personne publique peut renoncer à contracter, dès lors que cette renonciation repose sur un motif tiré de l’intérêt général qu’elle communique dans les plus brefs délais aux opérateurs économiques ayant participé à la procédure » (CAA de MARSEILLE, 13 septembre 2021, n°20MA03415

L’abandon de procédure doit toutefois être suffisamment motivé, et ne doit pas être utilisé pour contourner la procédure.

Ainsi, si la déclaration sans suite de la procédure n’est pas fondée sur un motif valable, l’acheteur commet une faute de nature à engager sa responsabilité et à ouvrir un droit d’indemnisation au profit des opérateurs économiques ayant participé à la procédure.

Suite à la question écrite n° 09685, la réponse publiée dans le JO Sénat du 12 septembre 2019 le rappelait : « Un défaut ou une insuffisance de motivation constitue une illégalité susceptible d’être soulevée à l’appui du recours contentieux dont peut faire l’objet une telle décision (CJUE 18 juin 2002 “Hospital Ingenieure Krankenhaustechnik Planungs Gmbh c/ Stadt Wien”, aff. C-92/00 ; C.E. 18 mars 2005 “Société Cyclergie”, n° 238752) ».

Les acheteurs peuvent abandonner une procédure en justifiant par exemple de motifs budgétaires, financiers, la disparition du besoin, ou encore une insuffisance de la concurrence[5], comme les risques liés aux erreurs et irrégularités commises pendant la procédure de passation du marché.

Les personnes publiques disposent d’une certaine marge de manœuvre de ce fait, mais ne doivent pas utiliser l’intérêt général dans le but de contourner les exigences du code des marchés publics.[6]

Les juges sanctionnent le recours à la décision de ne pas donner suite dans un cas où le motif invoqué caractérise un détournement de procédure mis en œuvre par l’acheteur pour évincer un candidat (Conseil d’État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, du 18 mars 2005, 238752 ).

En l’espèce, sans évoquer le détournement de procédure, les juges se bornent à constater que l’acheteur ne produit aucun élément d’analyse permettant de justifier le motif financier invoqué pour déclarer la procédure sans suite. Le coût financier élevé de la délégation de service public était en effet déjà connu car cette procédure constitue un renouvellement.

L’acheteur ne présente donc pas une justification suffisante pour déclarer la procédure sans suite pour motif d’intérêt général et devra conséquemment indemniser les requérants de leur préjudice.

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 6ème chambre (formation à 3), 15 novembre 2022, 20BX04079


[1] Cour administrative d’appel de Bordeaux, 6ème chambre (formation à 3), 15 novembre 2022, 20BX04079

[2] Voir en ce sens « L’illégalité de la déclaration d’infructuosité d’un appel d’offres n’oblige l’acheteur à indemniser un candidat que dans l’hypothèse où la décision prive ce dernier d’une chance sérieuse d’obtenir le marché public » CAA Lyon, 28 juin 2012, Société RSA Cosmos, n° 11LY00487.

[3] Voir en ce sens CAA Paris, 4 mai 2010, Région Ile-de-France, n° 08PA04899 « Cette indemnisation pourra porter non seulement sur le manque à gagner mais aussi sur les dépenses engagées en vue de l’exécution du marché public »

[4] Voir en ce sens l’article du Blog « L’égalité de traitement entre les candidats »

[5] Conseil d’État, 7 septembre 2018, 407099

[6] Réponse ministérielle publiée au JO du Sénat le 12 avril 2012