A quelles conditions la résiliation peut-elle être imposée par le Juge?

A quelles conditions la résiliation peut-elle être imposée par le Juge?

Tout tiers à un contrat susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction afin de demander la résiliation. C’est le cas de nos requérants, qui demandent l’annulation du marché litigieux ainsi qu’une indemnisation au titre du préjudice subi.[1]

Les conditions de mise en œuvre de la résiliation

Dans le cadre d’un contentieux contractuel comme celui-ci (de type « Tarn-et-Garonne »), le juge administratif dispose de libertés considérables puisqu’il peut même statuer au-delà de ce qui lui est demandé ,ultra petita.[2]

Pour un candidat évincé, les moyens à soulever sont énumérés par le Conseil d’Etat (voir notre article) :

« Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction ».

Il appartient au juge du contrat, lorsqu’un intérêt est susceptible d’être lésé de façon suffisamment directe et certaine, de vérifier les griefs, constater l’existence de vices entachant la validité du contrat, afin d’en apprécier l’importance et les conséquences.

En présence d’irrégularités qui ne peuvent être régularisés et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, ce dernier peut prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général :

  • Soit la résiliation du contrat,
  • Soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci.[3]

En l’espèce, l’acheteur a attribué le contrat public à un candidat dont la candidature et l’offre étaient irrégulières, à plusieurs titres.

L’objet social sans lien avec l’objet du marché

Les juges relèvent de nombreux manquements, qui pour une partie sont d’une certaine gravité. Ils estiment notamment que l’acheteur a survalorisé l’offre de la société attributaire au regard du critère relatif à la qualité, et a ainsi commis une erreur manifeste d’appréciation. Cela correspond à une erreur grossière et évidente de l’acheteur que les juges viennent sanctionner.

Manquement plus rare, le seul objet social du candidat attributaire est constitué d’activités de restauration sans lien avec l’objet du marché.  La création ultérieure par la société attributaire d’une société dédiée dont l’objet coïncide avec l’objet du marché était insuffisante pour justifier de la régularité de son offre.

L’absence de reprise du personnel cachant une offre anormalement basse

Par ailleurs « le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de mise en concurrence dès lors qu’il aurait dû éliminer l’offre de la société qui ne respectait pas les dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail en matière de reprise du personnel de l’ancien titulaire. »

Le fait de ne pas avoir pris en compte cette obligation de reprise de personnel cache de surcroît dans les faits une offre anormalement basse. En effet cette offre aurait dû prendre en compte les coûts liés à la reprise des employés de l’ancien titulaire.

Les juges constatent donc des irrégularités qui ne peuvent être régularisés et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat. En conséquence ils accordent une indemnisation au requérant[4] qui avait des chances sérieuses d’emporter le contrat. Ils décident également de la résiliation du contrat, en permettant un effet différé de six mois, afin de permettre la continuité des prestations durant la nouvelle procédure mise en place.

CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 30/11/2022, 20BX03887


[1] CAA de BORDEAUX, 6ème chambre, 30/11/2022, 20BX03887

[2] CE, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994 

[3] CE, 9 juin 2021, n° 438047

[4] Voir l’article du blog Achatsolutions « L’intérêt général en rempart contre l’indemnisation du candidat irrégulièrement évincé »