Le principe du choix de l’offre « économiquement la plus avantageuse » est soumis à rude épreuve depuis un certain temps…entre crise sanitaire, guerre en Ukraine et un climat capricieux…l’économie française, dépendante de certaines ressources extérieures, peine à la relance !

Les personnes publiques, actrices d’un cercle économique vertueux, s’interrogent quotidiennement sur la prise en charge de la hausse des prix qui affecte leurs marchés publics et s’inquiètent de leur pérennité.

Comment adapter les contrats publics dans ce contexte incertain avec les outils juridiques à disposition ?

Sans prétendre à l’exhaustivité, ni à l’omniscience, nous nous proposons un tour d’horizon sur les contrats impactés par l’inflation financière et sur les palliatifs juridiques existants.

Quels types de contrats sont impactés par la hausse des prix ? Jusqu’à quel point ? Ces hausses sont-elles vraiment justifiées ?

Par ces temps obscurs, se font « monnaie courante » les personnes publiques qui reçoivent des factures majorées !

  • Secteur de l’alimentation (principal secteur concerné par les hausses de prix en 2022) : pâtes ou produits de la boulangerie-pâtisserie[1], huile[2], porc ou volaille (œufs) ou bovin (lait, crème)[3], cacao ou café[4], moutarde[5] etc…
  • Secteur du textile : le coton et les matières premières industrielles ont atteint leur plus haut niveau depuis 10 ans. Les prix des produits manufacturés passeraient d’une évolution sur un an de 0,8 % en novembre 2021 à 1,8 % en juin 2022.
  • Secteur de l’automobile[6], près de 8 millions de véhicules devraient ainsi manquer à l’appel en 2022.
  • Secteur de l’informatique et l’électroménager lié à défaut de disponibilité des composants[7]
  • Secteur du bâtiment, des travaux publics, du mobilier[8] : le bois[9], les produits métallurgiques, les produits de gros œuvre et de second œuvre…
  • Secteur de l’énergie, avec une hausse ininterrompue du prix du baril de pétrole, qui se répercute à la pompe, mais aussi le gaz, ou l’électricité
  • Autres secteurs dont les prix se répercutent sur les produits : les emballages, le transport.

Ainsi, les marchés de l’alimentaire, de l’habillement, d’achat de véhicules, de matériel informatique, les prestations de nettoyage, les marchés de l’énergie sont autant de contrats susceptibles de subir de fortes augmentations.

Malgré le caractère notoire de ces évènements, la personne publique devra prendre la précaution juridique de demander une justification suffisamment détaillée auprès de son fournisseur avant d’en prendre acte par dérogation au principe d’intangibilité des prix[10].

Il conviendra également d’en prendre la mesure afin d’adapter le dispositif juridique pour formaliser la plus-value.

Quels sont les outils juridiques et proportionnés pour assurer le maintien du contrat ?

Dans ce contexte, en prévention, des solutions existent pour les acheteurs…(voir notre article en ce sens) :

  • Clause de variation des prix représentatives des différentes composantes du coût des prestations et de leurs facteurs d’évolution.
  • Clause d’exonération de pénalités de retard ou de prolongation des délais en cas de circonstances échappant à la responsabilité du titulaire.
  • Clause de versement d’une avance sans constitution de garantie.
  • Clause de délai de paiement inférieur au délai maximum règlementaire.
  • Clause de réexamen claire, précise et non équivoque…

A défaut d’anticipation et dans une moindre mesure, pour les contrats en cours d’exécution, la passation d’un avenant sur le fondement de l’article R.2194-5 du code de la commande publique est une mesure de premier niveau. Soit 10% en marché de fournitures courantes et services ou de prestation intellectuelle et 15% en marché de travaux.

En deuxième intention ou si la mesure de la modification non substantielle est insuffisante, le recours à la médiation via la théorie de l’imprévision est envisageable.

Rappelons que celle-ci prend la forme d’une indemnisation que la personne publique octroi à son cocontractant en contrepartie du manque à gagner lié à l’inflation des matières premières (environ 90% du montant de cette charge).

Pour sa mise en œuvre, il convient de démontrer que :

  • Cette augmentation était imprévisible, soit dans sa survenance, soit dans son ampleur.

Il appartient donc au prestataire de justifier que la hausse des prix lui crée un déficit d’exploitation. Le titulaire ne peut invoquer un simple manque à gagner[11]ou même une disparition totale de son bénéfice[12].

La DAJ nous précise que « appartient au titulaire d’apporter tous les justificatifs nécessaires, et notamment la preuve que l’achat des matériaux concernés était bien postérieur à la période durant laquelle le prix de ces derniers a augmenté de façon imprévisible ».

  • Cette augmentation est temporaire.

Comment juger le caractère temporaire de l’augmentation ? Lorsque l’absorption de ces aléas économiques tant par la personne publique que par le titulaire ne sont plus équitables, de telle manière que la situation n’est plus tenable dans les conditions d’exécution définies au contrat.

Ainsi, à tout moment, la résiliation pourrait être envisagée pour cas de force majeure, à l’initiative soit de la personne publique[13] soit du titulaire du marché[14].

Certains acheteurs la formaliseront par voie d’avenant, d’autres par l’établissement d’un protocole transactionnel sur le fondement de l’article 2044 du Code Civil.

Comment la provision pour indemnité est-elle établie ?

Par sécurité juridique, nous vous conseillons de la calculer ponctuellement, au réel, c’est-à-dire à la réception de la facture, de telle manière à indemniser à hauteur de la difficulté financière rencontrée. En effet, de par son caractère, a priori temporaire, il est difficile de présager les tarifs à venir. Par ailleurs, il se peut que les conditions économiques du contrat se rétablissent dans le temps, auquel cas la personne publique adaptera ses commandes.

Il se peut également que le prestataire n’ait pas une santé économique suffisante lui permettant d’attendre la fin du contrat pour obtenir un rééquilibrage de l’économie du marché.

Comme une fois n’est pas coutume, en cette période plus qu’incertaine, la personne publique devra faire preuve, d’adaptabilité juridique et économique pour maintenir ses services publics…


[1] En un an, le cours du blé a flambé de près de plus de 40 % car les conditions climatiques dégradées de l’été ont contribué à dégrader les perspectives de récolte de blé à travers le monde, et à en affecter la qualité.

[2] L’Ukraine est le 1er exportateur mondial de tournesol et ne pourra en planter durant ces prochains mois du fait de l’attaque de la Russie

[3] L’Ukraine est le 4ème exportateur mondial de maïs et ne pourra en planter durant ces prochains mois du fait de l’attaque de la Russie impactant directement le budget de nos éleveurs

[4] De mauvaises récoltes au Brésil, ainsi sur le kilo de grains, on passe de 19 à 22 euros

[5] Principal exportateur mondial, le Canada souffre de la sécheresse de l’été dernier et la production française n’est pas en capacité d’absorber la demande

[6] Du fait d’usines à l’arrêt en Chine pendant le confinement

[7] L’Ukraine est le plus important producteur de gaz néon utilisé dans la fabrication des semi-conducteurs et la Russie est un important producteur de palladium qui est l’un des composants des semi-conducteurs

[8] La crise sanitaire a généré une pénurie faisant augmenté le prix de certains matériaux

[9] Le bois a subi une augmentation entre 200 et 300% en 12 mois

[10] CE, 15 février 1957, Etablissement Dickson

[11] CE, 25 novembre 1921, Compagnie générale des automobiles postales

[12] CE, 4 octobre 1961, Entreprise Charlet

[13] Résiliation pour motif d’intérêt général en application des CCAG

[14] CE, 9 décembre 1932, Compagnie des tramways de Cherbourg