Peut-on passer de l’allotissement au global ? Autrement dit, l’acheteur peut-il, lorsqu’il avait pris pour habitude d’allotir un besoin, réunir les deux lots jusqu’ici distincts en un seul et même marché ?

Aïe !

Dans un précédent billet, nous vous invitions à faire le point avec nous sur la vaste question de l’allotissement obligatoire.

Il avait été en particulier souligné que, hors le cas où l’allotissement n’est pas logiquement possible (pas de prestations distinctes), le marché global est l’exception qui ne peut intervenir que sur le fondement du code de la commande publique :

  • marchés globaux spécifiques ;
  • ou circonstances particulières, sévèrement appréciées par le juge (financières, techniques, opérationnelles ou économiques) (voir notre billet pour plus de précisions).

En l’occurrence, puisque l’identification de deux lots était jusqu’ici possible, il est IMPOSSIBLE de soutenir qu’il n’existe pas de prestations distinctes… pas vrai ?

C’est justement le tour de force réalisé par le ministère de l’Intérieur. Décryptons ensemble les secrets du magicien !

En l’espèce, il était question d’un marché d’externalisation de la fonction « habillement » des deux forces de sécurité rattachées à ce ministère : la police nationale, et la gendarmerie. De plus, ce marché comportait deux aspects que sont le « périmètre produit » (fourniture de l’habillement) et le « périmètre flux » (fourniture d’un logiciel de gestion totale : stock-commande-facturation). On serait donc tentés, a priori, d’identifier deux possibilités d’allotir le marché.

Pour autant le juge se laisse volontiers convaincre du contraire.

Tout d’abord, l’objectif d’optimisation de l’ensemble des flux et de la qualité de service, dans le cadre d’un chaîne de soutien globale, explique qu’un seul et même titulaire couvre les deux périmètres.

Ensuite, la distinction historique entre habillement de la PN et habillement de la GN (y compris après rattachement au ministère de l’Intérieur, soyons clairs) peut être écartée comme inadéquate et obsolète, au vu de :

  • « l’interdépendance des prestations (cohérentes et) intégrées dans la chaîne de soutien globale de la fonction habillement »
  • « une harmonisation des processus de traitement des besoins des deux forces (…), désormais identiques et intégrés dans un même système informatique » ;
  • mais aussi – bien joué ! – « (en réponse) au souci d’approfondir le processus de mutualisation à l’œuvre s’agissant de la gestion des deux forces de sécurité, conformément aux préconisations en ce sens faites par la Cour des comptes ».

Comment reprocher à une autorité publique d’être un élève modèle ? On ne peut pas. C’est ainsi que « dans les circonstances particulières de l’espèce », le marché ne permet pas l’identification de prestations distinctes.

Autrement dit, selon cette décision, l’identification de prestations distinctes ou non n’est pas une valeur objective mais peut dépendre de votre cas particulier 😊

À titre surabondant (mais l’est-ce vraiment dans son esprit ?), le juge ajoute qu’il aurait de toute façon été possible de justifier une dérogation à l’allotissement au vu des économies significatives réalisées et de la difficulté technique évitée grâce à la solution du marché global.

TA de Paris, 19 janvier 2024, 2329725