La réalisation de travaux supplémentaires par l’entreprise titulaire d’un marché de travaux, lorsque ces travaux relèvent d’un autre lot, donc d’un autre objet, doit être regardée comme de la sous-traitance. Dès lors, le maître d’ouvrage qui n’a pas « régularisé » la situation commet une faute de nature à engager sa responsabilité.

La sous-traitance finira-t-elle un jour de poser des colles ? Après la question du droit au paiement direct des travaux supplémentaires (voir notre article), c’est la question de la définition-même de la sous-traitance qui se pose aujourd’hui.

Expliquées sur les bancs de l’école, les choses paraissaient si simples : l’opération de travaux met en relation le maître d’ouvrage et un opérateur de travaux ; l’opération peut parfois mettre en cause une tierce entreprise intervenant en qualité de sous-traitante.

Le maître d’ouvrage et l’opérateur de travaux sont liés par un contrat.

L’opérateur de travaux et son sous-traitant sont liés par un contrat.

Et le maître d’ouvrage et le sous-traitant sont liés par… rien du tout. Ils sont tous les deux tiers vis-à-vis du contrat de l’autre.

Cette configuration si simple des choses doit toutefois plier face à la réalité du terrain. Ainsi le Conseil d’État a eu à connaître du cas peu banal où une même entreprise détient sur un même chantier la double-casquette.

Sous-traitance verbale par-ci…

En l’espèce, la commune-maître d’ouvrage avait lancé une consultation de travaux pour la réalisation d’infrastructures sportives, allotie. Il s’agissait de réaliser plusieurs courts de tennis et un club house. L’opération comprenait notamment un lot « Terrassements généraux – VRD », un lot « Gros œuvre » et un lot « Équipements et sols sportifs ». Le titulaire du premier de ces lots, la STPFA, avait été amené à réaliser des travaux qui relevaient, en définitive, des deux autres lots. En fin de marché, la STPFA a évidemment réclamé la rémunération de ces prestations. Mais le maître d’ouvrage n’a pas donné suite.

Au contentieux, le régime des travaux supplémentaires ne s’est pas révélé être une bonne porte d’entrée, notamment parce que les prestations en cause n’ont pas été reconnues comme « indispensables » à l’achèvement de l’ouvrage dans les règles de l’art…

Le conseil juridique de l’entreprise avait cependant opté pour une voie palliative : à raison de contrats verbaux, le titulaire du marché de terrassement devait être regardé comme sous-traitant des lots de gros œuvre et d’équipements et sols !

Si le juge d’appel avait admis dans son arrêt cette qualité de sous-traitant, il avait toutefois systématiquement opposé que :

  • la STPFA n’avait pas été admise au paiement direct (implicitement, à défaut d’avoir été agréée ainsi que ses conditions de paiement) ;
  • les sommes avaient « en tout état de cause » été déjà réglées aux entrepreneurs principaux ;
  • elle n’alléguait pas, de la part du maître d’ouvrage, « de faute dans la direction du marché qui serait en lien avec le préjudice qu’elle invoque ».

C’est précisément sur ce dernier point que la cassation est prononcée.

Responsabilité du maître d’ouvrage par-là !

Le Conseil d’État rappelle qu’aux termes de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance :

« Pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics : / – le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations définies à l’article 3 ou à l’article 6, ainsi que celles définies à l’article 5, mettre l’entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s’acquitter de ces obligations. Ces dispositions s’appliquent aux marchés publics et privés ; (…) » (nous soulignons).

En d’autres termes, il se déduit une obligation du maître d’ouvrage, celle de mettre les intervenants au marché de travaux en demeure de s’acquitter de leurs obligations (déclaration, obtention d’agrément, etc…). Et donc, puisqu’une obligation préexiste, une violation de cette obligation caractérise une faute ! Une faute est susceptible d’engager la responsabilité du maître d’ouvrage !

Cependant, l’acheteur ne peut être tenu de faire cesser une situation dont il n’a pas connaissance (voir notre article).

L’arrêt d’appel est cassé en ce qu’il n’a pas répondu au moyen. Il appartiendra donc encore à la cour de caractériser si, oui ou non, le maître d’ouvrage avait en l’espèce une connaissance suffisante de l’existence des deux contrats verbaux de sous-traitance. La balle de tennis est dans son camp…

CE, 6 avril 2022, Société de travaux publics forestiers et agricoles (STPFA), n°451496